mercredi 4 novembre 2015

LIVRE01, Peter Gray, Libre d'apprendre, Chapitre 1

CHAPITRE 1

Qu'avons-nous fais à l'enfance ?

Au cours de ma vie j'ai appris de la part de centaines de grands enseignants, mais si je devais un choisir un seul comme étant le plus grand, ce serait Ruby Lou. Je l'ai rencontré l'été où j'avais cinq ans et elle en avait six. Ma famille venait juste de déménager dans une nouvelle ville et sur les conseils de ma mère je faisais du porte-à-porte par moi-même dans le voisinage en toquant aux portes pour demander, « Y a-t-il un enfant de mon âge qui vit ici ? », ce fut ainsi que je la rencontrais, de l'autre côté de la rue. En quelques minutes nous étions les meilleurs amis, et nous le sommes resté pendant les deux années où j'ai vécu dans cette ville. Ruby Lou était plus âgés, plus intelligente et plus courageuse que je ne l'étais, mais pas énormément plus, et c'est pourquoi elle fut une très grande enseignante pour moi.

Au milieu des années 80, Robert Fulghum a publié une collection d'essais très populaires appelés, « Tout ce que j'ai vraiment besoin de connaître je l'ai appris à la maternelle.» Je ne suis pas allé à la maternelle. La petite ville où nous avions déménagé n'en avait pas. Mais je suis sûr que si je pousse un peu Fulghum, il serait d'accord avec moi que les leçons les plus importantes que nous apprenons dans la vie ne sont pas apprises à la maternelle ni où que ce soit ailleurs dans une école. Elles sont apprît de la vie elle-même.

Au cours de ce premier été, Ruby Lou et moi avons joué ensemble pratiquement tous les jours, souvent toute la journée, parfois juste nous deux et parfois avec d'autres enfants dans le voisinage. Ensuite elle est entré en première année d'école et moi non, nous avons continué à jouer ensemble après l'école et les week-ends.

J'ai parfois pensé à écrire un livre qui serait intitulé, Tout ce que j'ai véritablement besoin d'apprendre, je l'ai appris de Ruby Lou. La première chose dont je me souviens, c'est lorsque Ruby Lou m'a enseigné à faire du vélo. Je n'en avais pas, mais elle me laissa utiliser celui qu'elle avait. C'était un vélo de fille, ce qui signifie qu'il était plus facile à apprendre parce que vous n'aviez pas à passer la jambe par-dessus la barre horizontale pour monter dessus. La rue dans laquelle nous vivions descendait une petite colline, et Ruby Lou ma montré que si je montais sur le vélo au sommet de la colline et que je poussais avec mon pied, je gagnerais suffisamment de vitesse sans pédaler pour rester droit.

De cette manière j'ai appris à m'équilibrer seul au pédalage. Elle m'a montré comment commencer à pédaler une fois que j'arrivais en bas de la colline et d'essayer d'aller le plus loin possible avant de tomber ou de poser le pied au sol pour m'arrêter. Lors de mes premiers essais, j'ai eu mes deux genoux écorchés, et j'ai cabossé la voiture du voisin sur son parking. En quelques jours j'étais capable de faire du vélo pour toute la vie. Quand mes parents virent cela ils m'achetèrent un vieux vélo usé. Il était trop grand pour moi (« Comme ça il sera à la bonne taille quand tu grandiras ») et c'était un vélo de garçon avec la barre verticale qui était difficile à monter. Mais je pouvais l'utiliser. C'était mon premier moyen de transport et il me donna une liberté à cinq ans que je n'avais jamais eu jusque-là.

Lorsque j'eus mon propre vélo, Ruby Lou et moi fîmes du vélo partout dans le village et la campagne environnante. Cela me semblait être de grandes aventures bien que j'imagine nous ne soyons jamais allé plus loin qu'un ou deux kilomètres de la maison. Je n'avais pas la permission de faire de tels voyages par moi-même mais je pouvais les faire avec Ruby Lou. Ma mère voyait que Ruby Lou à l'âge de six ans était mature, responsable et qu'elle connaissait bien son environnement. Elle m'éviterait d'avoir des problèmes. À chaque aventure nous apprenions quelque chose de nouveau à propos du monde dans lequel nous vivions et lorsque nous rencontrions une nouvelle personne. Encore aujourd'hui, utiliser le vélo pour me déplacer est ce que je préfères et je pense parfois à Ruby Lou lorsque je pédale pour aller au travail ou à d'autres endroits.

Ruby Lou m'a aussi aidée à grimper aux arbres. Il y avait un pin magnifique dans ma cour d'entrée. J'imagine que pour un adulte il s'agissait d'un pin d'une taille d'importance moyen mais pour moi il semblait immense, construit par Dieu pour grimper jusqu'au paradis. Je n'étais pas l'enfant le plus courageux ni le plus agile ce qui rendit ce travail difficile pendant des semaines et des mois pour réussir à monter toujours plus haut. L'arbre attirait Ruby Lou autant que moi et elle était toujours en avance sur l'escalade. À chaque fois qu'elle montait plus haut vers une branche qui n'avait jamais été atteinte avant, je savais que je le pourrais moi aussi. Quelle excitation que d'escalader vers le paradis et de regarder la terre si loin en bas ! Peut-être y avait-il 4 ou 5 mètres sous mes pieds mais c'était suffisant pour remplir mon cœur d'enfant de cinq ans avec les frissons du danger et une plus grand frisson encore de confiance en soi qui permettait de surmonter ce danger et grâce à mes propres efforts en sortir plus vivants et remplis d'une confiance en moi qui ma bien servit tout le long de ma vie.

Un jour d'été très chaud, Ruby Lou me donna ma première leçon sur la mort. Je jouais à l'extérieure avec ma piscine en plastique gonflable, à courir et sauter dedans, à glisser sur mes fesses à travers l'eau. Ruby Lou vint dans la cour et je m'attendais à ce qu'elle saute dans la piscine comme elle faisait d'habitude, mais elle n'en fit rien. Elle s'assit simplement dans l'herbe à une petite distance sans rien dire. J'essayais de la faire rire en réalisant des blagues idiotes, mais rien ne marchait. Je n'avais encore jamais vu personne agir de cette façon avant. À la fin, je finis par marcher et m'asseoir prêt d'elle.

Elle me dit que son grand-père, qui vivait avec elle, était mort durant la nuit. C'était ma première expérience avec la mort et ma première tentative de consoler une personne qui avait perdu quelqu'un qu'elle aimait. J'avais échoué bien entendue et ce que j'appris éventuellement est que l'on échoue toujours dans cette condition. Tout ce que je pouvais faire, c'est d'être là en tant qu'ami et laisser le temps agir en guérisseur. Heureusement, le temps fonctionne rapidement quand l'on a six ans et chaque jour a le pouvoir de deux semaines. Tout l'été ne fut pas passé avant que nous ayons la chance, Ruby Lou et moi de jouer et rire de nouveau.

Je ne suis pas le seul à regarder en arrière et à regretter que les enfants d'aujourd'hui aient moins de liberté que nous en eûmes. Demandez à n'importe qui d'un âge moyen ou plus vieux à propos de leur jeunesse et ils commenceront à se souvenir nostalgiquement d'un temps passé à vivre des aventures avec les autres enfants loin des adultes. Voici un extrait d'un essai par la politicienne Hillary Clinton à propos de son enfance à Park Ridge dans l'Illinois :

Nous avions des sociétés d'enfants bien organisées et nous avions toutes sortes de jeux, et nous en profitions énormément chaque jour après l'école, chaque weekend, de l'aube au matin jusqu'à ce que nos parents nous fassent rentrer à la nuit tombante de l'été. Un jeu s'appelait « poursuivre et courir » qui était une sorte de jeu complexe mélangeant le jeu du loup et de cache-cache. Nous faisions des équipes et nous dispersions dans la totalité du voisinage dans une zone d'environ deux ou trois pâtés de maison, nous désignions les lieux sûrs pour se protéger lorsque l'on était poursuivi. Il y avait aussi des façons de casser l'emprise d'une capture afin de retourner dans le jeu. Pour tous nos jeux, les règles étaient élaborées et étaient validées le long de consultations que nous avions dans un coin de rue. C'était de cette façon que nous passions un nombre sans fin d'heures.
Nous étions si indépendants, nous avions tellement de liberté. Mais il est impossible aujourd'hui d'imaginer d'en donner à un enfant aujourd'hui. C'est une des grandes pertes de notre société. [1]

Peu importe votre bord politique, vous serez certainement d'accord qu'Hillary a grandi pour devenir un adulte compétent, confiant et socialement doué. Quand je pense à la ministre Clinton qui martèle des accords parmi les dirigeants du monde, j'imagine près d'elle une petite fille qui martèle des accords avec les enfants du voisinage pour définir les règles de «poursuivre et courir ».

« Nous étions si indépendants, nous avions tellement de liberté. Mais il est impossible aujourd'hui d'imaginer d'en donner à un enfant aujourd'hui. C'est une des grandes pertes de notre société. » Ce n'est pas seulement une grande perte, c'est une perte tragique et cruelle. Les enfants sont conçus par nature à jouer et explorer par leurs propres moyens, indépendamment des adultes. Ils ont besoin de liberté pour se développer, sans cela, ils souffrent. La pulsion de jouer librement nous est fondamentale, c'est une pulsion biologique. L'absence de jeu libre ne tuera peut-être pas le corps physique comme le ferait l'absence de nourriture, d'air ou d'eau mais elle tuera l'esprit et freinera la croissance mentale. Le jeu libre est le moyen par lequel l'enfant apprend à se faire des amis, surmonter ses peurs, résoudre leurs propres problèmes et d'une manière plus générale, prendre le contrôle de leur propre vie.

Il s'agit aussi du moyen principal que l'enfant utilise pour pratiquer et acquérir les compétences physiques et intellectuelles qui sont essentielles pour réussir dans la culture dans laquelle ils grandissent. Rien que nous fassions, les nombreux jouets offerts, les « temps de qualité » organisés ou les entrainements spéciaux que nous procurons à nos enfants ne peuvent compenser la liberté que nous leur retirons. Les choses que l'enfant apprend par ses propres initiatives lors de jeux libre ne peuvent pas être enseignées d'une autre façon.

Nous poussons les limites de l'adaptabilité des enfants. Nous poussons les enfants dans un environnement anormal où il est attendu d'eux qu'ils passent de plus grandes portions de leur journée sous la direction d'un adulte, assis à des bureaux, écouter et lire des choses qui ne les intéressent pas, répondant à des questions qui ne sont pas les leurs et qui ne sont pas pour eux de véritables questions. Nous leur laissons de moins en moins de temps et de liberté pour jouer, explorer et poursuivre leurs propres intérêts.

Je suis un psychologue du développement évolutif. Ce qui signifie que j'étudie le développement de l'enfant d'un point de vue Darwinien. Je suis particulièrement intéressé par ces aspects de la nature de l'enfant qui lui donne la possibilité d'apprendre par sa propre initiative, ce qu'il doit apprendre de manière à survivre et à prospérer dans la culture dans laquelle il est né. Exprimé différemment, je suis intéressé dans les fondations biologiques de l'éducation. À cette fin, j'ai étudié l'éducation qui prenait place dans les formes de sociétés humaines premières, les sociétés de chasseurs-cueilleurs où il n'y a rien qui ne ressemble à une école et où les enfants prennent toujours en charge leur propre apprentissage. J'ai aussi étudié la façon dont l'éducation se produit dans une école alternative remarquable pas loin de chez moi dans le Massachusetts, où des centaines d'enfants et d'adolescents se sont éduqués eux-même avec succès avec des activités auto-dirigées sans qu'aucun adulte ne les soumettent à des évaluations ou des programmes. En plus de cela, j'ai observé l'éducation telle qu'elle se pratique dans des familles qui choisissent la déscolarisation de leurs enfants en faisant le choix d'une « école à la maison », j'ai aussi observé en profondeur et contribué à la recherche biologique et psychologique des fonctions du jeu.

Tout ce travail raconte une histoire remarquablement concordante et surprenante. Une histoire qui défie les croyances dominantes concernant l'éducation. Les enfants sont prédisposés biologiquement à prendre en charge leurs propres éducations. Quand on leur fournit la liberté et les moyens de poursuivre leurs propres intérêts dans un environnement sécurisant, ils fleurissent et se développent le long de chemins diversifiés et imprévisibles, ils acquièrent les compétences et la confiance en soi qui leur est nécessaire pour faire face aux défis de la vie. Dans de tels environnements, les enfants demandent aux adultes l'aide dont ils ont besoin et ils n'ont pas besoin de leçons obligatoires, de sermons, de devoirs, de contrôles, de notes, d'être isolé les uns des autres par leurs âges enfermés dans des classes ni de subir aucun de tous les autres pièges que pose le système standardisé de scolarisation obligatoire. En réalité, tout cela interfère avec les moyens naturels de l'enfant pour apprendre.

Il s'agit d'un livre à propos des instincts naturels de l'enfance pour s'éduquer elle-même, à propos des conditions requise pour que ces instincts fonctionnent de manière optimale et à propos de la façon dont nous, en tant que société, pouvons fournir ces conditions à des coûts bien moindre que ceux dépensés actuellement par les écoles. La pulsion du jeu est une part énorme des moyens naturels de l'auto-éducation de l'enfant, si bien qu'une large partie de ce livre est consacré au pouvoir du jeu. Toutefois, dans ce premier chapitre, j'évalue les dégâts que nous causons avec notre traitement actuel de l'enfant. Durant le demi-siècle passé, ou plus, nous avons vu une érosion continue de la liberté de l'enfant pour jouer et analogiquement à cette érosion, nous voyons un déclin continu de la santé mentale et physique des jeunes personnes. Si cette tendance continue, nous sommes sérieusement en danger de produire une génération de futurs adultes incapables de trouver leur chemin dans la vie.

Un demi-siècle de déclin [2]

Il n'y a pas si longtemps en Amérique vous pouviez marcher dans n'importe quel voisinage après l'école, les week-ends, ou encore durant l'été et voir des enfants jouer à l'extérieur sans la supervision d'un adulte. Maintenant si vous les voyez à l'extérieure c'est qu'ils portent un uniforme et qu'ils suivent la direction d'un entraineur, tandis que leurs parents les regardent et les encouragent scrupuleusement lors de chacun de leurs mouvements.

Dans un livre qui fait autorité dans le domaine concernant le jeu des enfants aux États Unis, Howard Chudacoff se réfère au milieu du vingtième siècle comme « l'âge d'or du jeu non-stucturé des enfants ». [3] Par « jeu non-structuré » Chudacoff ne veut pas dire que les jeux manquaient de structure. Il reconnaît que le jeu n'est jamais une activité aléatoire, il a toujours une structure. Par « non-structuré » il veut surtout exprimer que les joueurs eux-mêmes structuraient les jeux et non pas une autorité extérieure. Je me réfère à cela comme étant le jeu libre, que je définis comme étant un jeu dans lequel les joueurs eux-mêmes décident à quoi et comment jouer et sont libres de modifier les objectifs et les règles tout le long du jeu. Un jeu de football entre amis sur un terrain vague est un jeu libre, un jeu de football de compétition pour obtenir la coupe du monde n'est pas un jeu libre. Le jeu libre est la façon dont les enfants apprennent à structurer par eux-même leurs comportements.

Il est raisonnable de dire, même s'il s'agit d'une simplification, qu'à travers le temps dans l'Amérique postcoloniale, les opportunités de jouer librement pour les enfants ont été déterminés par deux courants. Le premier est le déclin progressif des besoins en ouvriers enfants qui permettait aux enfants d'avoir plus de temps pour jouer. Cela explique l'augmentation générale des possibilités de jeu au début du milieu du vingtième siècle. Le deuxième courant est l'augmentation progressive du contrôle des adultes sur la vie des enfants à l'extérieure du monde du travail ce qui a réduit les opportunités de jouer librement pour les enfants. Ce courant a commencé à s'accélérer au milieu du vingtième siècle et explique le déclin continu du jeu depuis ce temps.

Une des raisons significatives de cette augmentation du contrôle par les adultes dans la vie des enfants est le poids toujours croissant de la scolarisation obligatoire. Les enfants commencent l'école à un âge toujours plus jeune. Nous avons maintenant non seulement la maternelle, mais nous avons aussi dans certains quartiers des préparations à la maternelle qui remplace les crèches. Les crèches elles-mêmes sont structurées de plus en plus comme des écoles maternelles avec des tâches assignées par les adultes remplaçant le jeu libre. L'année d'école s'est allongée ainsi que la journée d'école et les opportunités pour jouer librement ont en grande partie été supprimées. Quand j'étais à l'école primaire dans les années cinquante, nous avions des temps de récréation d'une demi-heure matin et après-midi, et nous avions une heure pendant le temps du repas. Dans ces temps (qui correspondaient à environ un tiers des six heures d'école par jours) nous étions libre de faire tout ce que nous voulions, même de quitter l'établissement. Au cm1, mes amis et moi passions quasiment la totalité de notre heure du repas à lutter dans l'herbe ou dans la neige sur une colline non loin de l'école. Nous jouons aussi à des jeux avec des couteaux de poche et nous avions une grande guerre de boule de neige en hiver. Je ne me souviens pas d'un instituteur ou d'un autre adulte nous observer lors de ces jeux. Et s'ils le faisaient, ils n'intervenaient jamais. De tels comportements ne seraient pas permis aujourd'hui dans aucune école élémentaire que j'ai observée. On nous faisait confiance d'une manière que l'on ne voit plus pour les enfants d'aujourd'hui.

Non seulement les jours d'école deviennent plus longs et offrent moins d'opportunité pour le jeu, mais l'école s'est aussi introduite davantage dans la vie familiale et la vie du foyer. Les devoirs ont augmenté, mangeant davantage le temps qui serait autrement utilisé pour jouer. On attend maintenant des parents qu'ils soient les assistants des enseignants. Ils sont supposés garder la trace de tous les devoirs et les projets spéciaux assignés à leurs enfants et les cajoler, les critiquer ou les soudoyer pour qu'ils accomplissent leurs tâches. Quand les enfants ne font pas leurs devoirs ou qu'ils sont peu performant à leur réalisation, les parents se sentent souvent coupables comme s'ils avaient échoué quelque part. Les parents ne programment plus de temps de vacances familiales qui ferait louper des jours d'école à l'enfant (même pour un jour ou deux). Ils ne permettent pas à leurs enfants de louper l'école au profit d'activités à la maison qui pourraient en vérité, être bien plus utiles en terme d'apprentissage que cela serait possible durant le temps scolaire.

L'école s'est emparé de la vie des enfants d'une manière encore plus insidieuse. Le système scolaire a directement et indirectement, souvent de manière involontaire, entretenu l'état d'esprit dans la société qu'il est normal qu'un enfant apprenne et progresse principalement en remplissant des tâches qui sont dirigées et évaluées par des adultes tout en gâchant les activités propres des enfants. Cet état d'esprit est rarement articulé ouvertement, bien qu'un superviseur de l'académie d'Atlanta en Georgie à décidé de mettre fin à la pratique du jeu libre pendant la récréation en déclarant « Plutôt que de donner aux enfants 30 minutes pour utiliser leur temps comme ils veulent, il y a plus de sens à leur enseigner une compétence comme la danse ou la gymnastique ». [4] Ce même superviseur a aussi dit que les enfants n'ont pas besoin de jeu libre pour faire de l'exercice, parce qu'ils reçoivent cela dans leur classe d'éducation physique. Peu d'éducateurs élèvent leur voix face à cet état d'esprit malsain même si la plupart donnent du bout des lèvres une valeur au jeu libre. Et pourtant, au niveau qui contôle le comportement des adultes à l'égard des enfants, l'état d'esprit anti-jeu grandit d'une manière plus envahissante à mesure que les décennies passent et s'est infiltré à travers les murs des écoles pour infecter la société entière. Les enfants sont encouragés d'une manière croissante voir même obligés de prendre des leçons dirigées par des adultes en dehors de l'école pour s'engager dans des sports organisés plutôt que de jouer librement.

Sous-jacent à cet état d'esprit anti-jeu est la croissance constante d'une attention sur les performances des enfants qui peuvent être mesurées tout en ayant un désintérêt croissant pour le vrai apprentissage qu'il est difficile et même impossible à mesurer. Ce qui importe aujourd'hui dans le monde éducatif est d'obtenir des performances qui peuvent se retranscrire en résultats quantifiables qui permettent de comparer les élèves entre eux, les écoles entre elles et même entre les pays pour voir quel est le meilleur et quel est le pire. La connaissance qui ne fait pas partie du programme scolaire, même les connaissances profondes ne compte pas. Par « vrai apprentissage » et « connaissance profonde », je veux parler des idées et des informations que les enfants incorporent d'une manière durable et qui leurs permettent de comprendre et de répondre au monde qui les entourent (plus ce sujet dans les prochains chapitres). C'est une chose très différente que la connaissance superficielle qui est acquise seulement dans le but de passer des examens et qui est oubliée immédiatement une fois que les contrôles sont passés.

Aujourd'hui, ce n'est pas seulement les enfants mais les parents, les enseignants, les écoles et la totalité de l'académie qui est évaluée sur la base des performances des résultats des enfants. Les enfants sont les pions d'un jeu compétitif dans lequel les adultes qui les entourent, essayent d'obtenir d'eux les meilleurs scores à l'aide de tests standardisés. Tout ce qui augmente les performances par la tricherie est considéré comme de « l'éducation » dans ce jeu très risqué. On considère une éducation légitime le fait qu'ils sont testés avec des exercices qui améliorent la mémoire à court terme pour retenir des informations alors que ces exercices ne produisent aucune compréhension.

Cette concentration sur les performances s'est déplacé au-delà de la salle de classe dans toutes sortes de programmes d'activités extra-scolaires. Aux yeux des parents et des éducateurs d'aujourd'hui, l'enfance n'est pas avant tout un temps d'apprentissage mais surtout un temps de construction d'un curriculum vitae. Les niveaux de l'école et les résultats des examens standardisés comptent autant que les activités dirigées par des adultes à l'extérieure de l'école, particulièrement ceux qui offrent des trophées, des honneurs ou d'autres formes d'évaluations positives fournies par les adultes. De cette manière, l'enfant et l'adolescent sont amadoués et guidés, si ce n'est poussés, dans les sports organisés par des adultes, des cours hors de l'école, et d'autres activités de volontariat dirigés par des adultes. Même les enfants les plus jeunes, dont les activités ne peuvent pas être mesuré académiquement, sont dirigé une étape à la fois vers la construction d'un curriculum vitae explicite. Le jeu libre ne compte pas parce qu'il n'est que du jeu, et il n'y a pas de place pour lui dans un dossier d'inscription à l'université.

Le poids plus élevé de la scolarisation et la perception d'un besoin de construire un curriculum vitae ne sont pas les seules raisons du déclin du jeu libre durant la deuxième moitié du siècle précédent. Une influence importante est la croissance continue des adultes que le jeu non supervisé est dangereux. Aujourd'hui, si un enfant est enlevé, agressé ou assassiné par un étranger où que ce soit dans un pays occidental, les médias déferlent pour couvrir cette information et les peurs atteignent une mesure disproportionnée. Le taux actuel de tels cas est en réalité plutôt bas et a décliné ces dernières années. [5] Dans une étude internationale récente, les peurs les plus souvent cités, qui amènent les parents à restreindre le jeu extérieur des enfants étaient « Il y a peut-être le danger de prédateurs d'enfants » (cité par 49 pour cent des parents). [6] D'autres peurs proéminentes peut être plus réalistes qui sont exprimés dans cette étude sont les peurs liées à la circulation routière et à l'agression à l'école entre élèves. Dans une autre étude plus petite conduite aux Royaumes Unis, 78 pour cent des parents citent la peur d'enlèvement par des étrangers comme la raison pour laquelle ils restreignent le jeu extérieur des enfants, tandis que 52 pour cent citent les dangers de la circulation.

Dans une autre étude encore, sur 830 mères représentant un échantillon de tous les États-Unis, 85 pour cent sont d'accord pour dire que leurs enfants jouent moins souvent dehors qu'ils ne l'ont fait eux-même quand ils étaient enfants. [8] Quand nous demandons quels sont les obstacles qui empêchent aux enfants de jouer dehors, 82 pour cent des mères cite un souci pour la sécurité de leurs enfants face aux crimes. D'une manière surprenante, le niveau de ces peurs est très peu affecté par la situation géographique, ils sont aussi élevés en campagne qu'elles ne le sont en ville. Si nous souhaitons augmenter les opportunités des enfants pour le jeu extérieur libre, nous devons renforcer les voisinages d'une manière qui permette au parent de se percevoir en sécurité. Dans quel genre de société vivons-nous si nos enfants ne peuvent pas jouer librement et en sécurité à l'extérieure ?

Des preuves du déclin du jeu se trouvent aussi dans les études de carnets dans lesquels on demande aux parents de garder des traces des activités de leurs enfants à des moments aléatoires de leurs journées. Une étude de la sorte menée sur le long terme par la sociologue Sandra Hofferth et ses collègues a permit de comparer des extraits représentatifs de la façon dont les enfants occupaient leurs activités quotidiennes en 1997 avec des extraits similaires décrivant les mêmes activités des enfants en 1981. [9] Une des choses révélée par l'étude est que les enfants de 1997 âgé de six à huit ans passaient 18 pour cent de temps de plus à l'école, 145 pour cent de temps de plus à réaliser des devoirs à la maison, 19 pour cent de temps en moins à regarder la télévision et 25 pour cent de temps en moins à jouer que les enfants de 1981. Et tout cela en à peine 16 ans, une demi-génération. Dans cette étude la catégorie « jeu » inclus tout aussi bien le jeu à l'intérieur tel que les jeux de sociétés et les jeux vidéos que le jeu à l'extérieur. Nous pouvons seulement présumer que la quantité de jeu extérieur à diminué encore plus que de 25 pour cent, car le temps passé à jouer à des jeux vidéos à augmenté pendant cette période (en 1981, le temps consacré à cette activité était quasi nulle). La quantité totale de temps qu'un enfant d'âge moyen passait à jouer en 1997 (ce qui inclut les jeux sur ordinateur) était d'environ 11 heures par semaine. En suivant la même méthode, une étude réalisée sur la période de 1997 à 2003, Hofferth et ses collègues ont découvert que le temps de devoir à la maison avait continué à augmenter (environ 32 pour cent) et le temps passé à jouer avait diminué (environ 7 pour cent) pour le même groupe d'âge. [10]

Quand l'on demande aux parents pourquoi leurs enfants ne jouent pas à l'extérieur, ils citent souvent les préférences de leurs enfants au même niveau que leurs soucis de sécurité. En particulier, ils se réfèrent souvent aux qualités séductrices de la télévision et des jeux sur l'ordinateur. [11] Toutefois, dans une étude réalisée à grande échelle, lorsque l'on demande aux enfants eux-mêmes quelles sont leurs préférences en terme de jeu, le jeu extérieur avec des amis apparaît au top. En comparaison à d'autres activités spécifiques, 89 pour cent disent préférer le jeu à l'extérieur avec leurs amis que de regarder la télévision et 86 pour cent disent préférer cela aux jeux sur ordinateur. [12] Peut-être qu'une raison pour laquelle les enfants aujourd'hui jouent autant sur l'ordinateur est parce qu'il s'agit d'un lieu où ils peuvent jouer librement sans la direction ou l'intervention d'un adulte. Nombreux sont ceux qui ne peuvent pas jouer dehors, et ceux qui le peuvent ont des difficultés à trouver d'autres enfants avec qui jouer, si bien qu'ils restent à l'intérieur pour jouer. Bien sûr ce n'est pas la seule raison de la popularité des jeux sur ordinateur. Ces jeux sont très amusants et les enfants apprennent beaucoup de choses d'eux. Mais en ce qui concerne les activités physiques et l'apprentissage du monde réel, sur la façon de se comporter avec les pairs, le jeu extérieur avec les amis n'a pas d'équivalent.

La croissance des troubles psychologiques chez les jeunes personnes

Il y a un prix très lourd à payer au déclin du jeu libre et à l'approche carriériste de l'enfance. Je vais appeler Evan un enfant qu'il n'est pas inhabituel de trouver à l'école primaire de votre quartier. Il a onze ans. Les jours de la semaine, sa mère le tire du lit à 6 heures 30 afin qu'il ait assez de temps pour s'habiller, attraper quelque chose à manger et prendre le bus de l'école. Il n'a pas la permission de marcher jusqu'à l'école et cela même si cela lui prendrait moins de temps, serait plus amusant et lui permettrait de faire un peu d'exercice. Il y aurait trop de risques à le laisser faire. À l'école, il passe la plus grande partie de la journée calmement assit à écouter l'enseignant, à réaliser des examens, à lire ce qu'on lui demande de lire, à écrire ce qu'on lui demande d'écrire, tout en rêvant toute la journée à ce qu'il aimerait en réalité faire. L'école a annulé les anciennes récréations d'une demi-heure afin de se protéger des éventuelles blessures, des poursuites judiciaires et aussi pour libérer du temps pour permettre de préparer davantage l'enfant à des examens standardisés.

Après l'école, la vie d'Evan est planifiée et conçue (principalement par ses parents) de manière à lui fournir un ensemble de compétences équilibrées et pour le maintenir hors d'un quelconque danger. Il fait du football le lundi, du piano le mardi, du karaté le mercredi, de l'espagnol le jeudi. Le soir, après avoir regardé la télévision ou joué à un jeu vidéo, il passe une heure ou deux à faire ses devoirs. Sa mère doit signer chaque soir le carnet des devoirs pour prouver qu'elle a bien contrôlé qu'il les avait réalisé. Les week-ends, il a des compétitions sportives et catéchisme le dimanche. Après tout cela, il lui reste éventuellement un peu de temps libre pour le passer en toute sécurité avec des amis au sein de l'une des maisons de l'un d'entre eux. Ses parents aiment se vanter à propos de ses nombreuses activités en expliquant toujours qu'il s'agit de « ses propres choix » et qu'« il aime resté occupé ». Ils le voient comme étant en train de se préparer de lui-même afin d'entrer dans une université prestigieuse dont ils espèrent qu'il obtiendra l'admission d'ici sept ans. Evan a une bonne constitution, mais il admet de temps en temps qu'il se sent un peu « épuisé ».

Evan est ce qu'on appelle une réussite. Dans une autre rue se trouve Hank, il a été diagnostiqué comme ayant un trouble déficitaire de l'attention et de l'hyperactivité. Il prend des médicaments (Adderall) parce que sans cela il ne pourrait pas rester assis toute la journée à l'école. Avec eux, il réussit à avoir suffisamment bon résultat pour passer les classes mais le médicament lui enlève son appétit, l'empêche de dormir la nuit et l'amène le plus souvent à se sentir « bizarre ». Il dit qu'il ne se sent pas lui-même quand il les prend et ses parents admettent qu'il n'est pas aussi joyeux, joueur et drôle quand il prend les médicaments que lorsqu'il ne les prend pas. Ils ne voient toutefois pas d'autres solutions, il doit passer les niveaux scolaires ou bien ils craignent qu'il se retrouve désespérément en retard.

Bien sûr tous les enfants aujourd'hui ne souffrent pas à un tel niveau qu'Evan ou de Hank. Mais la réalité est qu'en fin de compte, un trop grand nombre d'enfants souffrent de problèmes comme les leurs et se sentent complètement épuisés d'ici à ce qu'ils arrivent à être diplômé à la sortie du lycée ou bien avant. Voici une citation copiée d'un article issu d'un journal local qui est celle d'un jeune de dix-huit ans qui vient d'obtenir son bac et qui pourrait tout à fait être Evan sept ans plus tard : « J'étais tellement rongé par le désir de bien faire que je n'ai pas beaucoup dormi ces deux dernières années. J'avais cinq ou six heures de devoirs pratiquement chaque soir.  La dernière chose que je souhaitais c'était avoir plus d'école. » Dans le même article, une autre jeune personne du même âge qui a été accepté à Harvard décrit sa dernière année de lycée comme étant particulièrement stressante. Il a jonglé avec six cours supplémentaires pour lui permettre de lutter de manière compétitive dans le cursus normal, il jouait du violon et prenait des cours de chinois. Il se sentait lui aussi épuisé et ne désirait rien d'autre qu'au moins une année libre avant d'aller à l'université.

De l'autre côté du parcours scolaire, à son commencement, voici un commentaire qui a été posté sur le blog que j'écris pour le site Psychology Today : « Ici à New-York, les enfants commencent la maternelle à 4 ans. Le fils de mon meilleur ami a commencé l'école en Septembre. Après deux semaines, il commençait déjà à recevoir des lettres chez lui de la part de l'enseignant pour lui signaler que son fils « avait un retard académique ». Depuis lors, il a reçu de nombreuses lettres et participé à de nombreuses rencontres avec l'enseignant. Mon ami a essayé de résoudre le problème en faisant faire des exercices à son fils les soirs à la maison. Le pauvre enfant suppliait d'avoir la permission d'aller se coucher. Ils se sentirent tous les deux découragés et avec un fort sentiment d'échec. » 13 Des commentaires comme ceux-ci sont désespérément faciles à trouver.

Des impressions, des anecdotes et des citations sont une chose mais des preuves tangibles en sont une autre. Quelles sont aujourd'hui, les statistiques de la santé mentale des jeunes personnes comparées à celles des décennies précédentes ?
Le taux de trouble mentaux lié au stress chez les jeunes personnes a grimpé en flèche durant les cinquante dernières années. Cette augmentation n'est pas simplement le résultat d'une plus grande conscience à l'égard de ces troubles et une plus grande probabilité qu'ils soient détectés et traités. Ils représentent véritablement une augmentation de la fréquence de ces troubles. Les psychologues et les psychiatres ont développé des questionnaires standardisés pour évaluer les problèmes et troubles mentaux, certains d'entre eux ont été utilisés sur de grands groupes de jeunes personnes pendant des dizaines d'années. Il est donc possible de voir les changements des taux de certains troubles mentaux à travers le temps sans qu'il y ait eu de changement dans les méthodes d'évaluation.

Par exemple, la mesure de l'anxiété du manifeste Taylor ( Taylor’s Manifest Anxiety Scale, TMAS) a été utilisé pour évaluer les niveaux d'anxiété chez les étudiants d'université depuis 1952. Une autre version de ce test a été utilisé pour les enfants de l'école primaire depuis 1956. Un autre questionnaire, l'inventaire de la personnalité multiphase du Minnesota (MMPI) a été fournit aux étudiants depuis 1938 et une version pour les adolescents (Minnesota Multiphasic Personality Inventory , MMPI-A) a été utilisé avec les élèves de lycées depuis 1951. Le MMPI et le MMPI-A sont conçus pour évaluer les niveaux d'un certain nombre de troubles et problèmes psychologiques, comme la dépression. Tous ces questionnaires consistent en différentes déclarations à propos de soi-même que la personne choisit de considérer comme vraie ou fausse. Par exemple des déclarations telles que « Je suis souvent inquiet que quelque chose de mal va arriver. » ou « Je me sens bien la plupart du temps. » se trouve inclus dans le TMAS. Un oui à la première déclaration ajoute un point au résultat d'anxiété, tandis qu'un oui à la deuxième soustrait un point. Un exemple de déclaration du MMPI est qu'un oui à une déclaration « le futur me semble sans espoir » ajouterait un point au résultat sur la dépression.

Jean Twenge, un professeur de psychologie de l'Université de l'état de San Diego en Californie, a dirigé des analyses étendues sur les changements à travers le temps des différents résultats de ces tests. La découverte est véritablement décourageante. Ces mesures montrent que l'anxiété et la dépression ont augmenté de manière continue, linéaire et de façon spectaculaire chez les enfants, les adolescents et les étudiants d'université pendant les dizaines d'années que couvrent ces tests depuis qu'ils ont été inventé. En fait l'augmentation est tellement grande pour l'anxiété et la dépression qu'il y a approximativement 85 % des jeunes personnes aujourd'hui qui ont un résultat plus grand que la moyenne du groupe du même âge des années 50. Pour voir cela d'une autre façon, il y a 5 à 8 fois plus de jeunes personnes aujourd'hui qu'il y a 50 ans et qui se trouvent au-dessus de la limite où il existe de forte probabilité de diagnostiquer un trouble clinique significatif ou une dépression sérieuse. Ces augmentations sont quasiment aussi importantes, si ce n'est plus pour les élèves d'école primaire et le lycée que ça ne l'est pour les étudiants de l'université. 14

Dans un travail dirigé de manière indépendante à ceux de Twenge et de ses collègues, la psychologue Cassandra Newsom et ses collègues ont analysé les résultats des tests MMPI et MMPI-A pour les adolescents âgés entre 14 et 16 ans entre les années 1948 et 1989. 15 Les résultats de cette étude est comparable à ceux de Twenge et leur essai montre dans des tableaux comment les adolescents ont répondu aux questionnaires en 1948 et en 1989, quand de larges échantillons furent testés. Voici par exemple les résultats des cinq déclarations qui montraient les changements les plus importants.16

                                                                                                             1948          1989
« Je me lève la plupart des matins, frais et reposé. »                        74.6%         31.3%
« Je travail souvent en étant énormément stressé. »                         16.2%         41.6%
« La plupart du temps la vie me demande beaucoup d'efforts. »         9.5%         35.0%
« J'ai largement eu ma part de choses dont je dois m'inquiéter. »      22.6%        55.2%
« J'ai peur de perdre la tête. »                                                             4.1%          23.4%


Un indicateur qui donne davantage à réfléchir que le déclin de la santé mental chez les jeunes personnes sont les taux de suicides. Depuis 1950, le taux de suicide aux États-Unis pour les enfants de moins de 15 ans a quadruplé, tandis que celui des personnes entre 15 et 24 ans a plus que doublé. Pendant cette même période, le taux de suicide des adultes âgé de 25 ans à 40 ans n'a augmenté que légèrement et les adultes au-dessus de 40 ans à quand à lui baissé. 17

Ces augmentations semblent n'avoir pas de lien avec les dangers réels et les incertitudes d'un monde plus grand. Les changements ne sont pas tant en corrélation avec les cycles économiques ou de quelconques événements nationaux ou mondiaux dont tout le monde parle et dont on pourrait penser qu'il touche l'état mental des jeunes personnes. Les niveaux d'anxiétés et de dépression chez les enfants et les adolescents étaient en réalité bien plus bas pendant la crise économique de 1929, pendant la seconde guerre mondiale et pendant la guerre froide et les turbulences des années 60 et 70 qu'ils ne le sont aujourd'hui. Les changements semblent être plus lié avec la façon dont les jeunes personnes voient le monde que la façon dont le monde est réellement.

Une chose dont nous sommes certains est que l'anxiété et la dépression chez les personnes sont fortement en corrélation avec le sentiment d'avoir un contrôle sur sa propre vie ou de ne pas en avoir. Ceux qui croient qu'ils ont en charge leur propre destinée ont moins de chances de devenir anxieux ou déprimé que ceux qui croient qu'ils sont victimes de circonstances au-delà de leurs propres capacités. Vous pourriez penser que le sentiment de diriger sa vie a augmenté ces dernières dizaines d'années. Des progrès réels se produisent dans notre capacité à prévenir et à guérir des maladies, les vieux préjugés qui pensaient que des personnes auraient moins de potentiel à cause de leur race, de leur genre ou de leur orientation sexuelle a diminué, et la personne moyenne est plus riche aujourd'hui qu'elle ne l'était hier. Et pourtant les données indiquent que les jeunes personnes qui ont le sentiment d'avoir le contrôle de leurs propres destinés a diminué d'une manière constante.

La mesure standard du sentiment de contrôle est un questionnaire appelé « Échelle de locus de contrôle interne-externe » développé par le psychologue Julian Rotter à la fin des années 50. Le questionnaire est constitué de 23 pairs de déclarations. Une déclaration dans chaque pair représente la croyance en un locus de contrôle interne (contrôle par la personne) et un autre représente la croyance en un locus de contrôle externe (contrôle par les circonstances extérieures à la personne). La personne qui remplit le questionnaire doit choisir pour chaque pair, quelle est la déclaration qui lui semble être la plus proche de la vérité. Voici par exemple une paire :
a) J'ai découvert que ce qui doit arriver, arrivera.
b) Faire confiance au destin ne fonctionne jamais aussi bien que lorsque je prends une décision qui définit le cours d'une action.
Dans ce cas, le choix (a) représente un locus de contrôle externe et le (b) représente un locus de contrôle interne.

Twenge et ses collègues ont analysé les résultats de nombreuses études qui ont utilisé l'échelle de Rotter avec des groupes d'étudiants d'université et des enfants (de l'âge de neuf ans à quatorze ans) des années 1960 à 2002. Ils ont découvert pour les deux groupes d'âge durant cette période que la moyenne des résultats a changée radicalement, passant du contrôle interne au contrôle externe sur l'échelle de mesure. En fait, les résultats ont tellement changé que la jeune personne moyenne en 2002 était plus extérieure (plus facilement disposée à déclarer leur manque de contrôle personnel) que ne l'était 80 pour cent des jeunes personnes dans les années 60. L'augmentation de l’extériorisation sur une période de 40 ans montre la même inclination que l'augmentation de la dépression et de l'anxiété. 18

Il y a de bonnes raisons de croire que l'augmentation du locus de contrôle externe a un lien de causalité à l'augmentation de l'anxiété et de la dépression. Les recherches cliniques ont montré à maintes reprises que les enfants, les adolescents et aussi les adultes qui ont un sentiment de détresse associé à un locus de contrôle externe sont prédisposé à l'anxiété et la dépression. 19 Quand les personnes croient qu'elles ont peu de contrôle sur leur destinée, elles deviennent anxieuse. « Quelque chose de terrible peut m'arriver à tout moment et je serais incapable de faire quoi que ce soit pour l'éviter. » Quand l'anxiété et le sentiment de détresse deviennent trop grands, les personnes se sentent déprimées. « Cela ne sert à rien d'essayer, je suis condamné. » La recherche a aussi montré que ceux qui ont un locus de contrôle extérieur sont beaucoup moins disposés à prendre des responsabilités concernant leur propre santé, de leur propre futur et au sein de leur communauté que ne le sont ceux qui ont un locus interne. 20

Le déclin de la liberté de l'enfant et l'augmentation des troubles psychologiques

Comme n'importe quel scientifique vous le dira, une corrélation n'est pas la preuve de la causalité. L'observation que l'anxiété, la dépression, le sentiment d'impuissance et d'autres troubles ont tous augmentés chez les jeunes personnes en même temps que le jeu a décliné ne prouve en rien que ce dernier soit la cause du premier. Néanmoins une réflexion logique permet de trouver la causalité. Le jeu libre est le moyen de la nature pour enseigner aux enfants qu'ils ne sont pas impuissants. Dans le jeu libéré de l'intervention des adultes, l'enfant a véritablement le contrôle et peut l'affirmer en le mettant en pratique. Dans le jeu libre, l'enfant apprend à prendre ses propres décisions, résoudre ses propres problèmes, créer et respecter des règles et s'entendre avec les autres en égaux plutôt que comme un subordonné obéissant ou révolté. Dans les jeux énergiques à l'extérieure, les enfants peuvent doser délibérément leurs propres quantités de peurs tandis qu'ils se balancent, qu'ils glissent ou tournoient sur les équipements de l'aire de jeu, qu'ils escaladent sur des plates-formes et des arbres ou qu'ils descendent une rampe en skateboard. C'est ainsi que non seulement ils apprennent à contrôler leurs propres corps mais aussi leurs propres peurs. Dans les jeux sociaux, les enfants apprennent comment négocier avec les autres, comment plaire à d'autres personnes et comment ajuster et surmonter la colère qui émerge lors des conflits. Le jeu libre est aussi le moyen de la nature pour aider les enfants à découvrir ce qu'ils aiment. Dans leurs jeux, les enfants essayent de nombreuses activités et découvrent ou se trouvent leurs talents et leurs prédilections. Aucune de ces leçons ne peuvent être enseignées par des moyens verbaux mais seulement par l'expérience que le jeu libre fournit. Les émotions prédominantes du jeu sont la curiosité et la joie.

Tandis qu'à l'école, l'enfant ne peut pas prendre ses propres décisions, leur boulot est de faire ce qu'on leur dit. Dans la salle de classe les enfants apprennent que ce qui a de l'importance ce sont les résultats d'examen. Même en dehors de l'école, les enfants passent une quantité croissante de leur temps libre dans des environnements ou ils sont dirigés, protégés, préparés, notés, jugés, mesurés, critiqués, loués et récompensés par les adultes. Dans une série d'études de recherche réalisées dans les quartiers de banlieue riches du nord-est des États-Unis, la psychologue Suniya Luthar et ses collègues ont montré que ce sont les enfants qui sont le plus mis sous pression par leurs parents pour réussir à l'école, qui sont transportés d'une activité extra-scolaire à une autre qui sont les plus susceptibles de se sentir anxieux ou dépressif. 21 Chaque fois que nous réduisons les opportunités de jeu libre des enfants en augmentant leur temps passé à l'école ou dans d'autres activités dirigées par des adultes, nous réduisons tout autant leurs opportunités pour apprendre à contrôler leurs propres vies, à apprendre qu'ils ne sont pas simplement les victimes des circonstances et du pouvoir des autres.

Il y a quelques années, les chercheurs en psychologie Mihaly Csikszentmihalyi et Jeremy Hunter ont dirigé une étude sur le bonheur et le malheur sur les élèves d'école primaire publique. Plus de 800 participants de 33 écoles différentes au sein de 12 communautés différentes à travers tout le pays ont portés des bracelets spéciaux pendant une semaine qui étaient programmés pour fournir des signaux à différents moments aléatoires de la journée (de 7h30 du matin à 10h30 du soir). Au moment où le signal se faisait entendre, les participants devaient remplir un tableau qui indiquait l'endroit où ils se trouvaient, quelle activité ils étaient en train de faire et s'ils étaient contents ou mécontents de leur situation présente. Les niveaux de bonheur les plus bas étaient atteints de loin aux moments où ils se trouvaient à l'école et les moments les plus élevés se produisaient lorsqu'ils se trouvaient hors de l'école entrain de discuter ou jouer avec des amis. Le temps passé avec les parents se trouvait à la moyenne de l'échelle bonheur/malheur. La moyenne du bonheur augmentait les week-ends et commençait à chuter à partir du dimanche après-midi jusqu'au soir, avec l'anticipation de la nouvelle semaine à l'école. 22 Comment en sommes-nous arrivés à la conclusion que la meilleure manière d'éduquer les enfants était de les forcer à se rendre dans des environnements où ils s'ennuient, son malheureux et son stressé ?

Nous avons là une ironie terrible. Tout en invoquant l'importance de l'éducation nous avons privé d'une manière croissante les enfants du temps dont ils ont besoin pour s'éduquer eux-même par leurs propres moyens. Et en invoquant l'importance de la sécurité nous les avons privé de la liberté qu'ils ont besoin pour développer leur compréhension, le courage et la confiance en soi qu'ils ont besoin pour faire face aux dangers et aux défis de la vie avec sang-froid. Nous sommes dans une crise en perpétuelle croissance avec une gravité toujours plus importante à mesure que les années passent. Nous avons perdu de vue la façon naturelle d'élever les enfants. Nous avons, non seulement aux États-Unis mais aussi dans tout le monde « développé », nous avons perdu de vue les compétences des enfants. Nous avons créé un monde dans lequel les enfants doivent refouler leurs instincts naturels pour prendre en main leur propre éducation et doivent à la place suivre aveuglément des chemins qui ne vont nulle-part et qui ont été tracé par les adultes. Nous avons créé un monde qui conduit véritablement un grand nombre de jeunes personnes à la folie et les autres dans l'incapacité de développer la confiance et les compétences nécessaires afin d'être un adulte responsable.

Et aujourd'hui encore, les experts et les politiciens réclament à cor et à cri une scolarisation plus restrictive et non l'inverse. Ils veulent davantage de tests standardisés, plus de devoirs, plus d'encadrement, des journées d'école plus chargées, des années d'école plus longues, des sanctions sévères contre les enfants qui manquent des jours d'école et cela même s'ils partent en vacances avec leur famille. C'est une idée dans lequel les politiciens de tous les partis majeurs et de tous les niveaux du gouvernement semblent être en accord. « Plus de scolarisation et plus de contrôles ont plus de valeur que moins de scolarisation et moins de contrôles. »

Il est temps pour les personnes qui comprennent mieux ce défi de se lever et de lutter contre ce courant terrible. Les enfants n'ont pas besoin de plus de scolarisation. Ils ont besoin de moins d'école et de plus de liberté. Ils ont aussi besoin d'environnements sûrs dans lesquels ils peuvent jouer et explorer et ils ont aussi besoin d'accéder librement à des outils, des idées et des personnes (dont des partenaires de jeux) qui peuvent les aider le long des chemins qu'ils ont choisis.

Ce livre n'est pas là pour se plaindre et pousser les gens à baisser les bras en déclarant « Les choses sont ainsi, on ferait mieux de l'accepter ». Il s'agit d'un livre d'espoir et d'un chemin pour l'amélioration. C'est un livre pour ceux qui ont un locus de contrôle interne et qui veulent faire quelque chose d'important dans le monde. Comme je vais le montrer dans les prochains chapitres, la sélection naturelle a doté l'enfant humain d'instincts puissant pour s'éduquer lui-même et que nous sommes insensés en les privant des conditions nécessaires qui leur permettent d'exercer de tels instincts.


NOTES TO CHAPTER 1
1. Clinton (2001).
2. Portions of this section and the next are adapted from Gray (2011a).
3. Chudacoff (2007).
4. Quoted by Johnson (1988).
5. Finkelhor et al. (2010).
6. Family, Kids, and Youth (2010). This survey was sponsored by IKEA Inc. and was overseen by Barbie Clarke, CEO of the marketing research group Family, Kids, and Youth.
7. See O’Brien and Smith (2002).
8. Clements (2004).
9. Hofferth and Sandberg (2001).
10. Hofferth (2009).
11. Clements (2004).
12. Family, Kids, and Youth (2010).
13. Comment posted in the “Readers Comments” section of P. Gray’s February 24, 2010, Psychology Today blog essay; http://blogs.psychologytoday.com/blog/freedom-learn.
14. Twenge (2000); Twenge et al. (2010).
15. Newsom et al. (2003).
16. Data are from Tables 4 and 5 of Newsom et al. (2003). Because the scores for boys and girls on these items were similar and changed in similar ways, I have summarized the results by averaging the scores for the two sexes.
17. According to records kept by the Centers for Disease Control and Prevention, suicide rates among children and adolescents rose steeply between 1950 and 1995; then they declined gradually until 2003, apparently because of greater awareness and the development of programs aimed at preventing childhood suicide. More recent reports, however, indicate that adolescent and childhood suicide rates have been rising, again, since 2003. For rates by age group from 1950 to 2005, see www.infoplease.com/ipa/A0779940.html#axzz0zVy5PKaL. For a report of increased suicide since 2003, see Nauert (2008).
18. Twenge et al. (2004).
19. For evidence of a causal link between a helpless style of thinking and depression, see Abramson et al. (1989); Alloy et al. (2006); Weems & Silverman (2006); Harrow et al. (2009).
20. References in Twenge et al. (2004); Reich et al. (1997).
21. Luthar and Latendresse (2005).
22. Csikszentmihalyi and Hunter (2003).


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