CHAPITRE
1
Qu'avons-nous
fais à l'enfance ?
Au
cours de ma vie j'ai appris de la part de centaines de grands
enseignants, mais si je devais un choisir un seul comme étant le
plus grand, ce serait Ruby Lou. Je l'ai rencontré l'été où
j'avais cinq ans et elle en avait six. Ma famille venait juste de
déménager dans une nouvelle ville et sur les conseils de ma mère
je faisais du porte-à-porte par moi-même dans le voisinage en
toquant aux portes pour demander, « Y a-t-il un enfant de mon
âge qui vit ici ? », ce fut ainsi que je la rencontrais,
de l'autre côté de la rue. En quelques minutes nous étions les
meilleurs amis, et nous le sommes resté pendant les deux années où
j'ai vécu dans cette ville. Ruby Lou était plus âgés, plus
intelligente et plus courageuse que je ne l'étais, mais pas
énormément plus, et c'est pourquoi elle fut une très grande
enseignante pour moi.
Au
milieu des années 80, Robert Fulghum a publié une collection
d'essais très populaires appelés, « Tout ce que j'ai
vraiment besoin de connaître je l'ai appris à la maternelle.»
Je ne suis pas allé à la maternelle. La petite ville où nous
avions déménagé n'en avait pas. Mais je suis sûr que si je pousse
un peu Fulghum, il serait d'accord avec moi que les leçons les plus
importantes que nous apprenons dans la vie ne sont pas apprises à la
maternelle ni où que ce soit ailleurs dans une école. Elles sont
apprît de la vie elle-même.
Au
cours de ce premier été, Ruby Lou et moi avons joué ensemble
pratiquement tous les jours, souvent toute la journée, parfois juste
nous deux et parfois avec d'autres enfants dans le voisinage. Ensuite
elle est entré en première année d'école et moi non, nous avons
continué à jouer ensemble après l'école et les week-ends.
J'ai
parfois pensé à écrire un livre qui serait intitulé, Tout ce que
j'ai véritablement besoin d'apprendre, je l'ai appris de Ruby Lou.
La première chose dont je me souviens, c'est lorsque Ruby Lou m'a
enseigné à faire du vélo. Je n'en avais pas, mais elle me laissa
utiliser celui qu'elle avait. C'était un vélo de fille, ce qui
signifie qu'il était plus facile à apprendre parce que vous n'aviez
pas à passer la jambe par-dessus la barre horizontale pour monter
dessus. La rue dans laquelle nous vivions descendait une petite
colline, et Ruby Lou ma montré que si je montais sur le vélo au
sommet de la colline et que je poussais avec mon pied, je gagnerais
suffisamment de vitesse sans pédaler pour rester droit.
De
cette manière j'ai appris à m'équilibrer seul au pédalage. Elle
m'a montré comment commencer à pédaler une fois que j'arrivais en
bas de la colline et d'essayer d'aller le plus loin possible avant de
tomber ou de poser le pied au sol pour m'arrêter. Lors de mes
premiers essais, j'ai eu mes deux genoux écorchés, et j'ai cabossé
la voiture du voisin sur son parking. En quelques jours j'étais
capable de faire du vélo pour toute la vie. Quand mes parents virent
cela ils m'achetèrent un vieux vélo usé. Il était trop grand pour
moi (« Comme ça il sera à la bonne taille quand tu
grandiras ») et c'était un vélo de garçon avec la barre
verticale qui était difficile à monter. Mais je pouvais l'utiliser.
C'était mon premier moyen de transport et il me donna une liberté à
cinq ans que je n'avais jamais eu jusque-là.
Lorsque
j'eus mon propre vélo, Ruby Lou et moi fîmes du vélo partout dans
le village et la campagne environnante. Cela me semblait être de
grandes aventures bien que j'imagine nous ne soyons jamais allé plus
loin qu'un ou deux kilomètres de la maison. Je n'avais pas la
permission de faire de tels voyages par moi-même mais je pouvais les
faire avec Ruby Lou. Ma mère voyait que Ruby Lou à l'âge de six
ans était mature, responsable et qu'elle connaissait bien son
environnement. Elle m'éviterait d'avoir des problèmes. À chaque
aventure nous apprenions quelque chose de nouveau à propos du monde
dans lequel nous vivions et lorsque nous rencontrions une nouvelle
personne. Encore aujourd'hui, utiliser le vélo pour me déplacer est
ce que je préfères et je pense parfois à Ruby Lou lorsque je
pédale pour aller au travail ou à d'autres endroits.
Ruby
Lou m'a aussi aidée à grimper aux arbres. Il y avait un pin
magnifique dans ma cour d'entrée. J'imagine que pour un adulte il
s'agissait d'un pin d'une taille d'importance moyen mais pour moi il
semblait immense, construit par Dieu pour grimper jusqu'au paradis.
Je n'étais pas l'enfant le plus courageux ni le plus agile ce qui
rendit ce travail difficile pendant des semaines et des mois pour
réussir à monter toujours plus haut. L'arbre attirait Ruby Lou
autant que moi et elle était toujours en avance sur l'escalade. À
chaque fois qu'elle montait plus haut vers une branche qui n'avait
jamais été atteinte avant, je savais que je le pourrais moi aussi.
Quelle excitation que d'escalader vers le paradis et de regarder la
terre si loin en bas ! Peut-être y avait-il 4 ou 5 mètres sous
mes pieds mais c'était suffisant pour remplir mon cœur d'enfant de
cinq ans avec les frissons du danger et une plus grand frisson encore
de confiance en soi qui permettait de surmonter ce danger et grâce à
mes propres efforts en sortir plus vivants et remplis d'une confiance
en moi qui ma bien servit tout le long de ma vie.
Un
jour d'été très chaud, Ruby Lou me donna ma première leçon sur
la mort. Je jouais à l'extérieure avec ma piscine en plastique
gonflable, à courir et sauter dedans, à glisser sur mes fesses à
travers l'eau. Ruby Lou vint dans la cour et je m'attendais à ce
qu'elle saute dans la piscine comme elle faisait d'habitude, mais
elle n'en fit rien. Elle s'assit simplement dans l'herbe à une
petite distance sans rien dire. J'essayais de la faire rire en
réalisant des blagues idiotes, mais rien ne marchait. Je n'avais
encore jamais vu personne agir de cette façon avant. À la fin, je
finis par marcher et m'asseoir prêt d'elle.
Elle
me dit que son grand-père, qui vivait avec elle, était mort durant
la nuit. C'était ma première expérience avec la mort et ma
première tentative de consoler une personne qui avait perdu
quelqu'un qu'elle aimait. J'avais échoué bien entendue et ce que
j'appris éventuellement est que l'on échoue toujours dans cette
condition. Tout ce que je pouvais faire, c'est d'être là en tant
qu'ami et laisser le temps agir en guérisseur. Heureusement, le
temps fonctionne rapidement quand l'on a six ans et chaque jour a le
pouvoir de deux semaines. Tout l'été ne fut pas passé avant que
nous ayons la chance, Ruby Lou et moi de jouer et rire de nouveau.
Je
ne suis pas le seul à regarder en arrière et à regretter que les
enfants d'aujourd'hui aient moins de liberté que nous en eûmes.
Demandez à n'importe qui d'un âge moyen ou plus vieux à propos de
leur jeunesse et ils commenceront à se souvenir nostalgiquement d'un
temps passé à vivre des aventures avec les autres enfants loin des
adultes. Voici un extrait d'un essai par la politicienne Hillary
Clinton à propos de son enfance à Park Ridge dans l'Illinois :
Nous
avions des sociétés d'enfants bien organisées et nous avions
toutes sortes de jeux, et nous en profitions énormément chaque jour
après l'école, chaque weekend, de l'aube au matin jusqu'à ce que
nos parents nous fassent rentrer à la nuit tombante de l'été. Un
jeu s'appelait « poursuivre et courir » qui était une
sorte de jeu complexe mélangeant le jeu du loup et de cache-cache.
Nous faisions des équipes et nous dispersions dans la totalité du
voisinage dans une zone d'environ deux ou trois pâtés de maison,
nous désignions les lieux sûrs pour se protéger lorsque l'on était
poursuivi. Il y avait aussi des façons de casser l'emprise d'une
capture afin de retourner dans le jeu. Pour tous nos jeux, les règles
étaient élaborées et étaient validées le long de consultations
que nous avions dans un coin de rue. C'était de cette façon que
nous passions un nombre sans fin d'heures.
Nous
étions si indépendants, nous avions tellement de liberté. Mais il
est impossible aujourd'hui d'imaginer d'en donner à un enfant
aujourd'hui. C'est une des grandes pertes de notre société. [1]
Peu
importe votre bord politique, vous serez certainement d'accord
qu'Hillary a grandi pour devenir un adulte compétent, confiant et
socialement doué. Quand je pense à la ministre Clinton qui martèle
des accords parmi les dirigeants du monde, j'imagine près d'elle une
petite fille qui martèle des accords avec les enfants du voisinage
pour définir les règles de «poursuivre et courir ».
« Nous
étions si indépendants, nous avions tellement de liberté. Mais il
est impossible aujourd'hui d'imaginer d'en donner à un enfant
aujourd'hui. C'est une des grandes pertes de notre société. »
Ce n'est pas seulement une grande perte, c'est une perte tragique et
cruelle. Les enfants sont conçus par nature à jouer et explorer par
leurs propres moyens, indépendamment des adultes. Ils ont besoin de
liberté pour se développer, sans cela, ils souffrent. La pulsion de
jouer librement nous est fondamentale, c'est une pulsion biologique.
L'absence de jeu libre ne tuera peut-être pas le corps physique
comme le ferait l'absence de nourriture, d'air ou d'eau mais elle
tuera l'esprit et freinera la croissance mentale. Le jeu libre est le
moyen par lequel l'enfant apprend à se faire des amis, surmonter ses
peurs, résoudre leurs propres problèmes et d'une manière plus
générale, prendre le contrôle de leur propre vie.
Il
s'agit aussi du moyen principal que l'enfant utilise pour pratiquer
et acquérir les compétences physiques et intellectuelles qui sont
essentielles pour réussir dans la culture dans laquelle ils
grandissent. Rien que nous fassions, les nombreux jouets offerts, les
« temps de qualité » organisés ou les entrainements
spéciaux que nous procurons à nos enfants ne peuvent compenser la
liberté que nous leur retirons. Les choses que l'enfant apprend par
ses propres initiatives lors de jeux libre ne peuvent pas être
enseignées d'une autre façon.
Nous
poussons les limites de l'adaptabilité des enfants. Nous poussons
les enfants dans un environnement anormal où il est attendu d'eux
qu'ils passent de plus grandes portions de leur journée sous la
direction d'un adulte, assis à des bureaux, écouter et lire des
choses qui ne les intéressent pas, répondant à des questions qui
ne sont pas les leurs et qui ne sont pas pour eux de véritables
questions. Nous leur laissons de moins en moins de temps et de
liberté pour jouer, explorer et poursuivre leurs propres intérêts.
Je
suis un psychologue du développement évolutif. Ce qui signifie que
j'étudie le développement de l'enfant d'un point de vue Darwinien.
Je suis particulièrement intéressé par ces aspects de la nature de
l'enfant qui lui donne la possibilité d'apprendre par sa propre
initiative, ce qu'il doit apprendre de manière à survivre et à
prospérer dans la culture dans laquelle il est né. Exprimé
différemment, je suis intéressé dans les fondations biologiques de
l'éducation. À cette fin, j'ai étudié l'éducation qui prenait
place dans les formes de sociétés humaines premières, les sociétés
de chasseurs-cueilleurs où il n'y a rien qui ne ressemble à une
école et où les enfants prennent toujours en charge leur propre
apprentissage. J'ai aussi étudié la façon dont l'éducation se
produit dans une école alternative remarquable pas loin de chez moi
dans le Massachusetts, où des centaines d'enfants et d'adolescents
se sont éduqués eux-même avec succès avec des activités
auto-dirigées sans qu'aucun adulte ne les soumettent à des
évaluations ou des programmes. En plus de cela, j'ai observé
l'éducation telle qu'elle se pratique dans des familles qui
choisissent la déscolarisation de leurs enfants en faisant le choix
d'une « école à la maison », j'ai aussi observé en
profondeur et contribué à la recherche biologique et psychologique
des fonctions du jeu.
Tout
ce travail raconte une histoire remarquablement concordante et
surprenante. Une histoire qui défie les croyances dominantes
concernant l'éducation. Les enfants sont prédisposés
biologiquement à prendre en charge leurs propres éducations. Quand
on leur fournit la liberté et les moyens de poursuivre leurs propres
intérêts dans un environnement sécurisant, ils fleurissent et se
développent le long de chemins diversifiés et imprévisibles, ils
acquièrent les compétences et la confiance en soi qui leur est
nécessaire pour faire face aux défis de la vie. Dans de tels
environnements, les enfants demandent aux adultes l'aide dont ils ont
besoin et ils n'ont pas besoin de leçons obligatoires, de sermons,
de devoirs, de contrôles, de notes, d'être isolé les uns des
autres par leurs âges enfermés dans des classes ni de subir aucun
de tous les autres pièges que pose le système standardisé de
scolarisation obligatoire. En réalité, tout cela interfère avec
les moyens naturels de l'enfant pour apprendre.
Il
s'agit d'un livre à propos des instincts naturels de l'enfance pour
s'éduquer elle-même, à propos des conditions requise pour que ces
instincts fonctionnent de manière optimale et à propos de la façon
dont nous, en tant que société, pouvons fournir ces conditions à
des coûts bien moindre que ceux dépensés actuellement par les
écoles. La pulsion du jeu est une part énorme des moyens naturels
de l'auto-éducation de l'enfant, si bien qu'une large partie de ce
livre est consacré au pouvoir du jeu. Toutefois, dans ce premier
chapitre, j'évalue les dégâts que nous causons avec notre
traitement actuel de l'enfant. Durant le demi-siècle passé, ou
plus, nous avons vu une érosion continue de la liberté de l'enfant
pour jouer et analogiquement à cette érosion, nous voyons un déclin
continu de la santé mentale et physique des jeunes personnes. Si
cette tendance continue, nous sommes sérieusement en danger de
produire une génération de futurs adultes incapables de trouver
leur chemin dans la vie.
Un
demi-siècle de déclin [2]
Il
n'y a pas si longtemps en Amérique vous pouviez marcher dans
n'importe quel voisinage après l'école, les week-ends, ou encore
durant l'été et voir des enfants jouer à l'extérieur sans la
supervision d'un adulte. Maintenant si vous les voyez à l'extérieure
c'est qu'ils portent un uniforme et qu'ils suivent la direction d'un
entraineur, tandis que leurs parents les regardent et les encouragent
scrupuleusement lors de chacun de leurs mouvements.
Dans
un livre qui fait autorité dans le domaine concernant le jeu des
enfants aux États Unis, Howard Chudacoff se réfère au milieu du
vingtième siècle comme « l'âge d'or du jeu non-stucturé des
enfants ». [3] Par
« jeu non-structuré » Chudacoff ne veut pas dire que les
jeux manquaient de structure. Il reconnaît que le jeu n'est jamais
une activité aléatoire, il a toujours une structure. Par
« non-structuré » il veut surtout exprimer que les
joueurs eux-mêmes structuraient les jeux et non pas une autorité
extérieure. Je me réfère à cela comme étant le jeu libre, que je
définis comme étant un jeu dans lequel les joueurs eux-mêmes
décident à quoi et comment jouer et sont libres de modifier les
objectifs et les règles tout le long du jeu. Un jeu de football
entre amis sur un terrain vague est un jeu libre, un jeu de football
de compétition pour obtenir la coupe du monde n'est pas un jeu
libre. Le jeu libre est la façon dont les enfants apprennent à
structurer par eux-même leurs comportements.
Il
est raisonnable de dire, même s'il s'agit d'une simplification, qu'à
travers le temps dans l'Amérique postcoloniale, les opportunités de
jouer librement pour les enfants ont été déterminés par deux
courants. Le premier est le déclin progressif des besoins en
ouvriers enfants qui permettait aux enfants d'avoir plus de temps
pour jouer. Cela explique l'augmentation générale des possibilités
de jeu au début du milieu du vingtième siècle. Le deuxième
courant est l'augmentation progressive du contrôle des adultes sur
la vie des enfants à l'extérieure du monde du travail ce qui a
réduit les opportunités de jouer librement pour les enfants. Ce
courant a commencé à s'accélérer au milieu du vingtième siècle
et explique le déclin continu du jeu depuis ce temps.
Une
des raisons significatives de cette augmentation du contrôle par les
adultes dans la vie des enfants est le poids toujours croissant de la
scolarisation obligatoire. Les enfants commencent l'école à un âge
toujours plus jeune. Nous avons maintenant non seulement la
maternelle, mais nous avons aussi dans certains quartiers des
préparations à la maternelle qui remplace les crèches. Les crèches
elles-mêmes sont structurées de plus en plus comme des écoles
maternelles avec des tâches assignées par les adultes remplaçant
le jeu libre. L'année d'école s'est allongée ainsi que la journée
d'école et les opportunités pour jouer librement ont en grande
partie été supprimées. Quand j'étais à l'école primaire dans
les années cinquante, nous avions des temps de récréation d'une
demi-heure matin et après-midi, et nous avions une heure pendant le
temps du repas. Dans ces temps (qui correspondaient à environ un
tiers des six heures d'école par jours) nous étions libre de faire
tout ce que nous voulions, même de quitter l'établissement. Au cm1,
mes amis et moi passions quasiment la totalité de notre heure du
repas à lutter dans l'herbe ou dans la neige sur une colline non
loin de l'école. Nous jouons aussi à des jeux avec des couteaux de
poche et nous avions une grande guerre de boule de neige en hiver. Je
ne me souviens pas d'un instituteur ou d'un autre adulte nous
observer lors de ces jeux. Et s'ils le faisaient, ils n'intervenaient
jamais. De tels comportements ne seraient pas permis aujourd'hui dans
aucune école élémentaire que j'ai observée. On nous faisait
confiance d'une manière que l'on ne voit plus pour les enfants
d'aujourd'hui.
Non
seulement les jours d'école deviennent plus longs et offrent moins
d'opportunité pour le jeu, mais l'école s'est aussi introduite
davantage dans la vie familiale et la vie du foyer. Les devoirs ont
augmenté, mangeant davantage le temps qui serait autrement utilisé
pour jouer. On attend maintenant des parents qu'ils soient les
assistants des enseignants. Ils sont supposés garder la trace de
tous les devoirs et les projets spéciaux assignés à leurs enfants
et les cajoler, les critiquer ou les soudoyer pour qu'ils
accomplissent leurs tâches. Quand les enfants ne font pas leurs
devoirs ou qu'ils sont peu performant à leur réalisation, les
parents se sentent souvent coupables comme s'ils avaient échoué
quelque part. Les parents ne programment plus de temps de vacances
familiales qui ferait louper des jours d'école à l'enfant (même
pour un jour ou deux). Ils ne permettent pas à leurs enfants de
louper l'école au profit d'activités à la maison qui pourraient en
vérité, être bien plus utiles en terme d'apprentissage que cela
serait possible durant le temps scolaire.
L'école
s'est emparé de la vie des enfants d'une manière encore plus
insidieuse. Le système scolaire a directement et indirectement,
souvent de manière involontaire, entretenu l'état d'esprit dans la
société qu'il est normal qu'un enfant apprenne et progresse
principalement en remplissant des tâches qui sont dirigées et
évaluées par des adultes tout en gâchant les activités propres
des enfants. Cet état d'esprit est rarement articulé ouvertement,
bien qu'un superviseur de l'académie d'Atlanta en Georgie à décidé
de mettre fin à la pratique du jeu libre pendant la récréation en
déclarant « Plutôt que de donner aux enfants 30 minutes
pour utiliser leur temps comme ils veulent, il y a plus de sens à
leur enseigner une compétence comme la danse ou la gymnastique ».
[4] Ce même superviseur a
aussi dit que les enfants n'ont pas besoin de jeu libre pour faire de
l'exercice, parce qu'ils reçoivent cela dans leur classe d'éducation
physique. Peu d'éducateurs élèvent leur voix face à cet état
d'esprit malsain même si la plupart donnent du bout des lèvres une
valeur au jeu libre. Et pourtant, au niveau qui contôle le
comportement des adultes à l'égard des enfants, l'état d'esprit
anti-jeu grandit d'une manière plus envahissante à mesure que les
décennies passent et s'est infiltré à travers les murs des écoles
pour infecter la société entière. Les enfants sont encouragés
d'une manière croissante voir même obligés de prendre des leçons
dirigées par des adultes en dehors de l'école pour s'engager dans
des sports organisés plutôt que de jouer librement.
Sous-jacent
à cet état d'esprit anti-jeu est la croissance constante d'une
attention sur les performances des enfants qui peuvent être mesurées
tout en ayant un désintérêt croissant pour le vrai apprentissage
qu'il est difficile et même impossible à mesurer. Ce qui importe
aujourd'hui dans le monde éducatif est d'obtenir des performances
qui peuvent se retranscrire en résultats quantifiables qui
permettent de comparer les élèves entre eux, les écoles entre
elles et même entre les pays pour voir quel est le meilleur et quel
est le pire. La connaissance qui ne fait pas partie du programme
scolaire, même les connaissances profondes ne compte pas. Par « vrai
apprentissage » et « connaissance profonde », je
veux parler des idées et des informations que les enfants
incorporent d'une manière durable et qui leurs permettent de
comprendre et de répondre au monde qui les entourent (plus ce sujet
dans les prochains chapitres). C'est une chose très différente que
la connaissance superficielle qui est acquise seulement dans le but
de passer des examens et qui est oubliée immédiatement une fois que
les contrôles sont passés.
Aujourd'hui,
ce n'est pas seulement les enfants mais les parents, les enseignants,
les écoles et la totalité de l'académie qui est évaluée sur la
base des performances des résultats des enfants. Les enfants sont
les pions d'un jeu compétitif dans lequel les adultes qui les
entourent, essayent d'obtenir d'eux les meilleurs scores à l'aide de
tests standardisés. Tout ce qui augmente les performances par la
tricherie est considéré comme de « l'éducation » dans
ce jeu très risqué. On considère une éducation légitime le fait
qu'ils sont testés avec des exercices qui améliorent la mémoire à
court terme pour retenir des informations alors que ces exercices ne
produisent aucune compréhension.
Cette
concentration sur les performances s'est déplacé au-delà de la
salle de classe dans toutes sortes de programmes d'activités
extra-scolaires. Aux yeux des parents et des éducateurs
d'aujourd'hui, l'enfance n'est pas avant tout un temps
d'apprentissage mais surtout un temps de construction d'un curriculum
vitae. Les niveaux de l'école et les résultats des examens
standardisés comptent autant que les activités dirigées par des
adultes à l'extérieure de l'école, particulièrement ceux qui
offrent des trophées, des honneurs ou d'autres formes d'évaluations
positives fournies par les adultes. De cette manière, l'enfant et
l'adolescent sont amadoués et guidés, si ce n'est poussés, dans
les sports organisés par des adultes, des cours hors de l'école, et
d'autres activités de volontariat dirigés par des adultes. Même
les enfants les plus jeunes, dont les activités ne peuvent pas être
mesuré académiquement, sont dirigé une étape à la fois vers la
construction d'un curriculum vitae explicite. Le jeu libre ne compte
pas parce qu'il n'est que du jeu, et il n'y a pas de place pour lui
dans un dossier d'inscription à l'université.
Le
poids plus élevé de la scolarisation et la perception d'un besoin
de construire un curriculum vitae ne sont pas les seules raisons du
déclin du jeu libre durant la deuxième moitié du siècle
précédent. Une influence importante est la croissance continue des
adultes que le jeu non supervisé est dangereux. Aujourd'hui, si un
enfant est enlevé, agressé ou assassiné par un étranger où que
ce soit dans un pays occidental, les médias déferlent pour couvrir
cette information et les peurs atteignent une mesure
disproportionnée. Le taux actuel de tels cas est en réalité plutôt
bas et a décliné ces dernières années. [5]
Dans une étude internationale récente, les peurs les plus souvent
cités, qui amènent les parents à restreindre le jeu extérieur des
enfants étaient « Il y a peut-être le danger de prédateurs
d'enfants » (cité par 49 pour cent des parents). [6]
D'autres peurs proéminentes peut être plus réalistes qui sont
exprimés dans cette étude sont les peurs liées à la circulation
routière et à l'agression à l'école entre élèves. Dans une
autre étude plus petite conduite aux Royaumes Unis, 78 pour cent des
parents citent la peur d'enlèvement par des étrangers comme la
raison pour laquelle ils restreignent le jeu extérieur des enfants,
tandis que 52 pour cent citent les dangers de la circulation.
Dans
une autre étude encore, sur
830 mères représentant
un échantillon de tous les États-Unis, 85 pour cent sont d'accord
pour dire que leurs enfants jouent moins souvent dehors qu'ils ne
l'ont fait eux-même quand ils étaient enfants. [8]
Quand nous demandons quels sont les obstacles qui empêchent aux
enfants de jouer dehors, 82 pour cent des mères cite un souci pour
la sécurité de leurs enfants face aux crimes. D'une manière
surprenante, le niveau de ces peurs est très peu affecté par la
situation géographique, ils sont aussi élevés en campagne qu'elles
ne le sont en ville. Si nous souhaitons augmenter les opportunités
des enfants pour le jeu extérieur libre, nous devons renforcer les
voisinages d'une manière qui permette au parent de se percevoir en
sécurité. Dans quel genre de société vivons-nous si nos enfants
ne peuvent pas jouer librement et en sécurité à l'extérieure ?
Des
preuves du déclin du jeu se trouvent aussi dans les études de
carnets dans lesquels on demande aux parents de garder des traces des
activités de leurs enfants à des moments aléatoires de leurs
journées. Une étude de la sorte menée sur le long terme par la
sociologue Sandra Hofferth et ses collègues a permit de comparer des
extraits représentatifs de la façon dont les enfants occupaient
leurs activités quotidiennes en 1997 avec des extraits similaires
décrivant les mêmes activités des enfants en 1981. [9]
Une des choses révélée par l'étude est que les enfants de 1997
âgé de six à huit ans passaient 18 pour cent de temps de plus à
l'école, 145 pour cent de temps de plus à réaliser des devoirs à
la maison, 19 pour cent de temps en moins à regarder la télévision
et 25 pour cent de temps en moins à jouer que les enfants de 1981.
Et tout cela en à peine 16 ans, une demi-génération. Dans cette
étude la catégorie « jeu » inclus tout aussi bien le
jeu à l'intérieur tel que les jeux de sociétés et les jeux vidéos
que le jeu à l'extérieur. Nous pouvons seulement présumer que la
quantité de jeu extérieur à diminué encore plus que de 25 pour
cent, car le temps passé à jouer à des jeux vidéos à augmenté
pendant cette période (en 1981, le temps consacré à cette activité
était quasi nulle). La quantité totale de temps qu'un enfant d'âge
moyen passait à jouer en 1997 (ce qui inclut les jeux sur
ordinateur) était d'environ 11 heures par semaine. En suivant la
même méthode, une étude réalisée sur la période de 1997 à
2003, Hofferth et ses collègues ont découvert que le temps de
devoir à la maison avait continué à augmenter (environ 32 pour
cent) et le temps passé à jouer avait diminué (environ 7 pour
cent) pour le même groupe d'âge. [10]
Quand
l'on demande aux parents pourquoi leurs enfants ne jouent pas à
l'extérieur, ils citent souvent les préférences de leurs enfants
au même niveau que leurs soucis de sécurité. En particulier, ils
se réfèrent souvent aux qualités séductrices de la télévision
et des jeux sur l'ordinateur. [11]
Toutefois, dans une étude réalisée à grande échelle, lorsque
l'on demande aux enfants eux-mêmes quelles sont leurs préférences
en terme de jeu, le jeu extérieur avec des amis apparaît au top. En
comparaison à d'autres activités spécifiques, 89 pour cent disent
préférer le jeu à l'extérieur avec leurs amis que de regarder la
télévision et 86 pour cent disent préférer cela aux jeux sur
ordinateur. [12] Peut-être
qu'une raison pour laquelle les enfants aujourd'hui jouent autant sur
l'ordinateur est parce qu'il s'agit d'un lieu où ils peuvent jouer
librement sans la direction ou l'intervention d'un adulte. Nombreux
sont ceux qui ne peuvent pas jouer dehors, et ceux qui le peuvent ont
des difficultés à trouver d'autres enfants avec qui jouer, si bien
qu'ils restent à l'intérieur pour jouer. Bien sûr ce n'est pas la
seule raison de la popularité des jeux sur ordinateur. Ces jeux sont
très amusants et les enfants apprennent beaucoup de choses d'eux.
Mais en ce qui concerne les activités physiques et l'apprentissage
du monde réel, sur la façon de se comporter avec les pairs, le jeu
extérieur avec les amis n'a pas d'équivalent.
La
croissance des troubles psychologiques chez les jeunes personnes
Il
y a un prix très lourd à payer au déclin du jeu libre et à
l'approche carriériste de l'enfance. Je vais appeler Evan un enfant
qu'il n'est pas inhabituel de trouver à l'école primaire de votre
quartier. Il a onze ans. Les jours de la semaine, sa mère le tire
du lit à 6 heures 30 afin qu'il ait assez de temps pour s'habiller,
attraper quelque chose à manger et prendre le bus de l'école. Il
n'a pas la permission de marcher jusqu'à l'école et cela même si
cela lui prendrait moins de temps, serait plus amusant et lui
permettrait de faire un peu d'exercice. Il y aurait trop de risques à
le laisser faire. À l'école, il passe la plus grande partie de la
journée calmement assit à écouter l'enseignant, à réaliser des
examens, à lire ce qu'on lui demande de lire, à écrire ce qu'on
lui demande d'écrire, tout en rêvant toute la journée à ce qu'il
aimerait en réalité faire. L'école a annulé les anciennes
récréations d'une demi-heure afin de se protéger des éventuelles
blessures, des poursuites judiciaires et aussi pour libérer du temps
pour permettre de préparer davantage l'enfant à des examens
standardisés.
Après
l'école, la vie d'Evan est planifiée et conçue (principalement par
ses parents) de manière à lui fournir un ensemble de compétences
équilibrées et pour le maintenir hors d'un quelconque danger. Il
fait du football le lundi, du piano le mardi, du karaté le mercredi,
de l'espagnol le jeudi. Le soir, après avoir regardé la télévision
ou joué à un jeu vidéo, il passe une heure ou deux à faire ses
devoirs. Sa mère doit signer chaque soir le carnet des devoirs pour
prouver qu'elle a bien contrôlé qu'il les avait réalisé. Les
week-ends, il a des compétitions sportives et catéchisme le
dimanche. Après tout cela, il lui reste éventuellement un peu de
temps libre pour le passer en toute sécurité avec des amis au sein
de l'une des maisons de l'un d'entre eux. Ses parents aiment se
vanter à propos de ses nombreuses activités en expliquant toujours
qu'il s'agit de « ses propres choix » et qu'« il
aime resté occupé ». Ils le voient comme étant en train de
se préparer de lui-même afin d'entrer dans une université
prestigieuse dont ils espèrent qu'il obtiendra l'admission d'ici
sept ans. Evan a une bonne constitution, mais il admet de temps en
temps qu'il se sent un peu « épuisé ».
Evan
est ce qu'on appelle une réussite. Dans une autre rue se trouve
Hank, il a été diagnostiqué comme ayant un trouble déficitaire de
l'attention et de l'hyperactivité. Il prend des médicaments
(Adderall) parce que sans cela il ne pourrait pas rester assis toute
la journée à l'école. Avec eux, il réussit à avoir suffisamment
bon résultat pour passer les classes mais le médicament lui enlève
son appétit, l'empêche de dormir la nuit et l'amène le plus
souvent à se sentir « bizarre ». Il dit qu'il ne se sent
pas lui-même quand il les prend et ses parents admettent qu'il n'est
pas aussi joyeux, joueur et drôle quand il prend les médicaments
que lorsqu'il ne les prend pas. Ils ne voient toutefois pas d'autres
solutions, il doit passer les niveaux scolaires ou bien ils craignent
qu'il se retrouve désespérément en retard.
Bien
sûr tous les enfants aujourd'hui ne souffrent pas à un tel niveau
qu'Evan ou de Hank. Mais la réalité est qu'en fin de compte, un
trop grand nombre d'enfants souffrent de problèmes comme les leurs
et se sentent complètement épuisés d'ici à ce qu'ils arrivent à
être diplômé à la sortie du lycée ou bien avant. Voici une
citation copiée d'un article issu d'un journal local qui est celle
d'un jeune de dix-huit ans qui vient d'obtenir son bac et qui
pourrait tout à fait être Evan sept ans plus tard : « J'étais
tellement rongé par le désir de bien faire que je n'ai pas beaucoup
dormi ces deux dernières années. J'avais cinq ou six heures de
devoirs pratiquement chaque soir. La dernière chose que je
souhaitais c'était avoir plus d'école. » Dans le même
article, une autre jeune personne du même âge qui a été accepté
à Harvard décrit sa dernière année de lycée comme étant
particulièrement stressante. Il a jonglé avec six cours
supplémentaires pour lui permettre de lutter de manière compétitive
dans le cursus normal, il jouait du violon et prenait des cours de
chinois. Il se sentait lui aussi épuisé et ne désirait rien
d'autre qu'au moins une année libre avant d'aller à l'université.
De
l'autre côté du parcours scolaire, à son commencement, voici un
commentaire qui a été posté sur le blog que j'écris pour le site
Psychology Today : « Ici à New-York, les enfants
commencent la maternelle à 4 ans. Le fils de mon meilleur ami a
commencé l'école en Septembre. Après deux semaines, il commençait
déjà à recevoir des lettres chez lui de la part de l'enseignant
pour lui signaler que son fils « avait un retard académique ».
Depuis lors, il a reçu de nombreuses lettres et participé à de
nombreuses rencontres avec l'enseignant. Mon ami a essayé de
résoudre le problème en faisant faire des exercices à son fils les
soirs à la maison. Le pauvre enfant suppliait d'avoir la permission
d'aller se coucher. Ils se sentirent tous les deux découragés et
avec un fort sentiment d'échec. » 13
Des commentaires comme ceux-ci sont désespérément faciles à
trouver.
Des
impressions, des anecdotes et des citations sont une chose mais des
preuves tangibles en sont une autre. Quelles sont aujourd'hui, les
statistiques de la santé mentale des jeunes personnes comparées à
celles des décennies précédentes ?
Le
taux de trouble mentaux lié au stress chez les jeunes personnes a
grimpé en flèche durant les cinquante dernières années. Cette
augmentation n'est pas simplement le résultat d'une plus grande
conscience à l'égard de ces troubles et une plus grande probabilité
qu'ils soient détectés et traités. Ils représentent véritablement
une augmentation de la fréquence de ces troubles. Les psychologues
et les psychiatres ont développé des questionnaires standardisés
pour évaluer les problèmes et troubles mentaux, certains d'entre
eux ont été utilisés sur de grands groupes de jeunes personnes
pendant des dizaines d'années. Il est donc possible de voir les
changements des taux de certains troubles mentaux à travers le temps
sans qu'il y ait eu de changement dans les méthodes d'évaluation.
Par
exemple, la mesure de l'anxiété du manifeste Taylor ( Taylor’s
Manifest Anxiety Scale, TMAS) a été utilisé pour évaluer les
niveaux d'anxiété chez les étudiants d'université depuis 1952.
Une autre version de ce test a été utilisé pour les enfants de
l'école primaire depuis 1956. Un autre questionnaire, l'inventaire
de la personnalité multiphase du Minnesota (MMPI) a été fournit
aux étudiants depuis 1938 et une version pour les adolescents
(Minnesota Multiphasic Personality Inventory , MMPI-A) a été
utilisé avec les élèves de lycées depuis 1951. Le MMPI et le
MMPI-A sont conçus pour évaluer les niveaux d'un certain nombre de
troubles et problèmes psychologiques, comme la dépression. Tous ces
questionnaires consistent en différentes déclarations à propos de
soi-même que la personne choisit de considérer comme vraie ou
fausse. Par exemple des déclarations telles que « Je suis souvent
inquiet que quelque chose de mal va arriver. » ou « Je me
sens bien la plupart du temps. » se trouve inclus dans le TMAS.
Un oui à la première déclaration ajoute un point au résultat
d'anxiété, tandis qu'un oui à la deuxième soustrait un point. Un
exemple de déclaration du MMPI est qu'un oui à une déclaration
« le futur me semble sans espoir » ajouterait un point au
résultat sur la dépression.
Jean
Twenge, un professeur de psychologie de l'Université de l'état de
San Diego en Californie, a dirigé des analyses étendues sur les
changements à travers le temps des différents résultats de ces
tests. La découverte est véritablement décourageante. Ces mesures
montrent que l'anxiété et la dépression ont augmenté de manière
continue, linéaire et de façon spectaculaire chez les enfants, les
adolescents et les étudiants d'université pendant les dizaines
d'années que couvrent ces tests depuis qu'ils ont été inventé. En
fait l'augmentation est tellement grande pour l'anxiété et la
dépression qu'il y a approximativement 85 % des jeunes
personnes aujourd'hui qui ont un résultat plus grand que la moyenne
du groupe du même âge des années 50. Pour voir cela d'une autre
façon, il y a 5 à 8 fois plus de jeunes personnes aujourd'hui qu'il
y a 50 ans et qui se trouvent au-dessus de la limite où il existe de
forte probabilité de diagnostiquer un trouble clinique significatif
ou une dépression sérieuse. Ces augmentations sont quasiment aussi
importantes, si ce n'est plus pour les élèves d'école primaire et
le lycée que ça ne l'est pour les étudiants de l'université. 14
Dans
un travail dirigé de manière indépendante à ceux de Twenge et de
ses collègues, la psychologue Cassandra Newsom et ses collègues ont
analysé les résultats des tests MMPI et MMPI-A pour les adolescents
âgés entre 14 et 16 ans entre les années 1948 et 1989. 15
Les résultats de cette étude est comparable à ceux de Twenge et
leur essai montre dans des tableaux comment les adolescents ont
répondu aux questionnaires en 1948 et en 1989, quand de larges
échantillons furent testés. Voici par exemple les résultats des
cinq déclarations qui montraient les changements les plus
importants.16
1948 1989
« Je
me lève la plupart des matins, frais et reposé. » 74.6% 31.3%
« Je
travail souvent en étant énormément stressé. » 16.2% 41.6%
« La
plupart du temps la vie me demande beaucoup
d'efforts. » 9.5% 35.0%
« J'ai
largement eu ma part de choses dont je dois
m'inquiéter. » 22.6% 55.2%
« J'ai
peur de perdre la tête. » 4.1% 23.4%
Un
indicateur qui donne davantage à réfléchir que le déclin de la
santé mental chez les jeunes personnes sont les taux de suicides.
Depuis 1950, le taux de suicide aux États-Unis pour les enfants de
moins de 15 ans a quadruplé, tandis que celui des personnes entre 15
et 24 ans a plus que doublé. Pendant cette même période, le taux
de suicide des adultes âgé de 25 ans à 40 ans n'a augmenté que
légèrement et les adultes au-dessus de 40 ans à quand à lui
baissé. 17
Ces
augmentations semblent n'avoir pas de lien avec les dangers réels et
les incertitudes d'un monde plus grand. Les changements ne sont pas
tant en corrélation avec les cycles économiques ou de quelconques
événements nationaux ou mondiaux dont tout le monde parle et dont
on pourrait penser qu'il touche l'état mental des jeunes personnes.
Les niveaux d'anxiétés et de dépression chez les enfants et les
adolescents étaient en réalité bien plus bas pendant la crise
économique de 1929, pendant la seconde guerre mondiale et pendant la
guerre froide et les turbulences des années 60 et 70 qu'ils ne le
sont aujourd'hui. Les changements semblent être plus lié avec la
façon dont les jeunes personnes voient le monde que la façon dont
le monde est réellement.
Une
chose dont nous sommes certains est que l'anxiété et la dépression
chez les personnes sont fortement en corrélation avec le sentiment
d'avoir un contrôle sur sa propre vie ou de ne pas en avoir. Ceux
qui croient qu'ils ont en charge leur propre destinée ont moins de
chances de devenir anxieux ou déprimé que ceux qui croient qu'ils
sont victimes de circonstances au-delà de leurs propres capacités.
Vous pourriez penser que le sentiment de diriger sa vie a augmenté
ces dernières dizaines d'années. Des progrès réels se produisent
dans notre capacité à prévenir et à guérir des maladies, les
vieux préjugés qui pensaient que des personnes auraient moins de
potentiel à cause de leur race, de leur genre ou de leur orientation
sexuelle a diminué, et la personne moyenne est plus riche
aujourd'hui qu'elle ne l'était hier. Et pourtant les données
indiquent que les jeunes personnes qui ont le sentiment d'avoir le
contrôle de leurs propres destinés a diminué d'une manière
constante.
La
mesure standard du sentiment de contrôle est un questionnaire appelé
« Échelle de locus de contrôle interne-externe »
développé par le psychologue Julian Rotter à la fin des années
50. Le questionnaire est constitué de 23 pairs de déclarations. Une
déclaration dans chaque pair représente la croyance en un locus de
contrôle interne (contrôle par la personne) et un autre représente
la croyance en un locus de contrôle externe (contrôle par les
circonstances extérieures à la personne). La personne qui remplit
le questionnaire doit choisir pour chaque pair, quelle est la
déclaration qui lui semble être la plus proche de la vérité.
Voici par exemple une paire :
a)
J'ai découvert que ce qui doit arriver, arrivera.
b)
Faire confiance au destin ne fonctionne jamais aussi bien que lorsque
je prends une décision qui définit le cours d'une action.
Dans
ce cas, le choix (a) représente un locus de contrôle externe et le
(b) représente un locus de contrôle interne.
Twenge
et ses collègues ont analysé les résultats de nombreuses études
qui ont utilisé l'échelle de Rotter avec des groupes d'étudiants
d'université et des enfants (de l'âge de neuf ans à quatorze ans)
des années 1960 à 2002. Ils ont découvert pour les deux groupes
d'âge durant cette période que la moyenne des résultats a changée
radicalement, passant du contrôle interne au contrôle externe sur
l'échelle de mesure. En fait, les résultats ont tellement changé
que la jeune personne moyenne en 2002 était plus extérieure (plus
facilement disposée à déclarer leur manque de contrôle personnel)
que ne l'était 80 pour cent des jeunes personnes dans les années
60. L'augmentation de l’extériorisation sur une période de 40 ans
montre la même inclination que l'augmentation de la dépression et
de l'anxiété. 18
Il
y a de bonnes raisons de croire que l'augmentation du locus de
contrôle externe a un lien de causalité à l'augmentation de
l'anxiété et de la dépression. Les recherches cliniques ont montré
à maintes reprises que les enfants, les adolescents et aussi les
adultes qui ont un sentiment de détresse associé à un locus de
contrôle externe sont prédisposé à l'anxiété et la dépression.
19 Quand les personnes
croient qu'elles ont peu de contrôle sur leur destinée, elles
deviennent anxieuse. « Quelque chose de terrible peut m'arriver
à tout moment et je serais incapable de faire quoi que ce soit pour
l'éviter. » Quand l'anxiété et le sentiment de détresse
deviennent trop grands, les personnes se sentent déprimées. « Cela
ne sert à rien d'essayer, je suis condamné. » La recherche a
aussi montré que ceux qui ont un locus de contrôle extérieur sont
beaucoup moins disposés à prendre des responsabilités concernant
leur propre santé, de leur propre futur et au sein de leur
communauté que ne le sont ceux qui ont un locus interne. 20
Le
déclin de la liberté de l'enfant et l'augmentation des troubles
psychologiques
Comme
n'importe quel scientifique vous le dira, une corrélation n'est pas
la preuve de la causalité. L'observation que l'anxiété, la
dépression, le sentiment d'impuissance et d'autres troubles ont tous
augmentés chez les jeunes personnes en même temps que le jeu a
décliné ne prouve en rien que ce dernier soit la cause du premier.
Néanmoins une réflexion logique permet de trouver la causalité. Le
jeu libre est le moyen de la nature pour enseigner aux enfants qu'ils
ne sont pas impuissants. Dans le jeu libéré de l'intervention des
adultes, l'enfant a véritablement le contrôle et peut l'affirmer en
le mettant en pratique. Dans le jeu libre, l'enfant apprend à
prendre ses propres décisions, résoudre ses propres problèmes,
créer et respecter des règles et s'entendre avec les autres en
égaux plutôt que comme un subordonné obéissant ou révolté. Dans
les jeux énergiques à l'extérieure, les enfants peuvent doser
délibérément leurs propres quantités de peurs tandis qu'ils se
balancent, qu'ils glissent ou tournoient sur les équipements de
l'aire de jeu, qu'ils escaladent sur des plates-formes et des arbres
ou qu'ils descendent une rampe en skateboard. C'est ainsi que non
seulement ils apprennent à contrôler leurs propres corps mais aussi
leurs propres peurs. Dans les jeux sociaux, les enfants apprennent
comment négocier avec les autres, comment plaire à d'autres
personnes et comment ajuster et surmonter la colère qui émerge lors
des conflits. Le jeu libre est aussi le moyen de la nature pour aider
les enfants à découvrir ce qu'ils aiment. Dans leurs jeux, les
enfants essayent de nombreuses activités et découvrent ou se
trouvent leurs talents et leurs prédilections. Aucune de ces leçons
ne peuvent être enseignées par des moyens verbaux mais seulement
par l'expérience que le jeu libre fournit. Les émotions
prédominantes du jeu sont la curiosité et la joie.
Tandis
qu'à l'école, l'enfant ne peut pas prendre ses propres décisions,
leur boulot est de faire ce qu'on leur dit. Dans la salle de classe
les enfants apprennent que ce qui a de l'importance ce sont les
résultats d'examen. Même en dehors de l'école, les enfants passent
une quantité croissante de leur temps libre dans des environnements
ou ils sont dirigés, protégés, préparés, notés, jugés,
mesurés, critiqués, loués et récompensés par les adultes. Dans
une série d'études de recherche réalisées dans les quartiers de
banlieue riches du nord-est des États-Unis, la psychologue Suniya
Luthar et ses collègues ont montré que ce sont les enfants qui sont
le plus mis sous pression par leurs parents pour réussir à l'école,
qui sont transportés d'une activité extra-scolaire à une autre qui
sont les plus susceptibles de se sentir anxieux ou dépressif. 21
Chaque fois que nous réduisons les opportunités de jeu libre des
enfants en augmentant leur temps passé à l'école ou dans d'autres
activités dirigées par des adultes, nous réduisons tout autant
leurs opportunités pour apprendre à contrôler leurs propres vies,
à apprendre qu'ils ne sont pas simplement les victimes des
circonstances et du pouvoir des autres.
Il
y a quelques années, les chercheurs en psychologie Mihaly
Csikszentmihalyi et Jeremy Hunter ont dirigé une étude sur le
bonheur et le malheur sur les élèves d'école primaire publique.
Plus de 800 participants de 33 écoles différentes au sein de 12
communautés différentes à travers tout le pays ont portés des
bracelets spéciaux pendant une semaine qui étaient programmés pour
fournir des signaux à différents moments aléatoires de la journée
(de 7h30 du matin à 10h30 du soir). Au moment où le signal se
faisait entendre, les participants devaient remplir un tableau qui
indiquait l'endroit où ils se trouvaient, quelle activité ils
étaient en train de faire et s'ils étaient contents ou mécontents
de leur situation présente. Les niveaux de bonheur les plus bas
étaient atteints de loin aux moments où ils se trouvaient à
l'école et les moments les plus élevés se produisaient lorsqu'ils
se trouvaient hors de l'école entrain de discuter ou jouer avec des
amis. Le temps passé avec les parents se trouvait à la moyenne de
l'échelle bonheur/malheur. La moyenne du bonheur augmentait les
week-ends et commençait à chuter à partir du dimanche après-midi
jusqu'au soir, avec l'anticipation de la nouvelle semaine à l'école.
22 Comment en sommes-nous
arrivés à la conclusion que la meilleure manière d'éduquer les
enfants était de les forcer à se rendre dans des environnements où
ils s'ennuient, son malheureux et son stressé ?
Nous
avons là une ironie terrible. Tout en invoquant l'importance de
l'éducation nous avons privé d'une manière croissante les enfants
du temps dont ils ont besoin pour s'éduquer eux-même par leurs
propres moyens. Et en invoquant l'importance de la sécurité nous
les avons privé de la liberté qu'ils ont besoin pour développer
leur compréhension, le courage et la confiance en soi qu'ils ont
besoin pour faire face aux dangers et aux défis de la vie avec
sang-froid. Nous sommes dans une crise en perpétuelle croissance
avec une gravité toujours plus importante à mesure que les années
passent. Nous avons perdu de vue la façon naturelle d'élever les
enfants. Nous avons, non seulement aux États-Unis mais aussi dans
tout le monde « développé », nous avons perdu de vue
les compétences des enfants. Nous avons créé un monde dans lequel
les enfants doivent refouler leurs instincts naturels pour prendre en
main leur propre éducation et doivent à la place suivre aveuglément
des chemins qui ne vont nulle-part et qui ont été tracé par les
adultes. Nous avons créé un monde qui conduit véritablement un
grand nombre de jeunes personnes à la folie et les autres dans
l'incapacité de développer la confiance et les compétences
nécessaires afin d'être un adulte responsable.
Et
aujourd'hui encore, les experts et les politiciens réclament à cor
et à cri une scolarisation plus restrictive et non l'inverse. Ils
veulent davantage de tests standardisés, plus de devoirs, plus
d'encadrement, des journées d'école plus chargées, des années
d'école plus longues, des sanctions sévères contre les enfants qui
manquent des jours d'école et cela même s'ils partent en vacances
avec leur famille. C'est une idée dans lequel les politiciens de
tous les partis majeurs et de tous les niveaux du gouvernement
semblent être en accord. « Plus de scolarisation et plus de
contrôles ont plus de valeur que moins de scolarisation et moins de
contrôles. »
Il
est temps pour les personnes qui comprennent mieux ce défi de se
lever et de lutter contre ce courant terrible. Les enfants n'ont pas
besoin de plus de scolarisation. Ils ont besoin de moins d'école et
de plus de liberté. Ils ont aussi besoin d'environnements sûrs dans
lesquels ils peuvent jouer et explorer et ils ont aussi besoin
d'accéder librement à des outils, des idées et des personnes (dont
des partenaires de jeux) qui peuvent les aider le long des chemins
qu'ils ont choisis.
Ce
livre n'est pas là pour se plaindre et pousser les gens à baisser
les bras en déclarant « Les choses sont ainsi, on ferait mieux
de l'accepter ». Il s'agit d'un livre d'espoir et d'un chemin
pour l'amélioration. C'est un livre pour ceux qui ont un locus de
contrôle interne et qui veulent faire quelque chose d'important dans
le monde. Comme je vais le montrer dans les prochains chapitres, la
sélection naturelle a doté l'enfant humain d'instincts puissant
pour s'éduquer lui-même et que nous sommes insensés en les privant
des conditions nécessaires qui leur permettent d'exercer de tels
instincts.
NOTES
TO CHAPTER 1
1. Clinton
(2001).
2. Portions
of this section and the next are adapted from Gray (2011a).
3. Chudacoff
(2007).
4. Quoted
by Johnson (1988).
5. Finkelhor
et al. (2010).
6. Family,
Kids, and Youth (2010). This survey was sponsored by IKEA Inc. and
was overseen by Barbie Clarke, CEO of the marketing research group
Family, Kids, and Youth.
7. See
O’Brien and Smith (2002).
8. Clements
(2004).
9. Hofferth
and Sandberg (2001).
10. Hofferth
(2009).
11. Clements
(2004).
12. Family,
Kids, and Youth (2010).
13. Comment
posted in the “Readers Comments” section of P. Gray’s February
24, 2010, Psychology
Today blog
essay; http://blogs.psychologytoday.com/blog/freedom-learn.
14. Twenge
(2000); Twenge et al. (2010).
15. Newsom
et al. (2003).
16. Data
are from Tables 4 and 5 of Newsom et al. (2003). Because the scores
for boys and girls on these items were similar and changed in similar
ways, I have summarized the results by averaging the scores for the
two sexes.
17. According
to records kept by the Centers for Disease Control and Prevention,
suicide rates among children and adolescents rose steeply between
1950 and 1995; then they declined gradually until 2003, apparently
because of greater awareness and the development of programs aimed at
preventing childhood suicide. More recent reports, however, indicate
that adolescent and childhood suicide rates have been rising, again,
since 2003. For rates by age group from 1950 to 2005,
see www.infoplease.com/ipa/A0779940.html#axzz0zVy5PKaL.
For a report of increased suicide since 2003, see Nauert (2008).
18. Twenge
et al. (2004).
19. For
evidence of a causal link between a helpless style of thinking and
depression, see Abramson et al. (1989); Alloy et al. (2006); Weems &
Silverman (2006); Harrow et al. (2009).
20. References
in Twenge et al. (2004); Reich et al. (1997).
21. Luthar
and Latendresse (2005).
22. Csikszentmihalyi
and Hunter (2003).
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